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LIVRE III.

Pour ce, si le duc de Bourbon se mit au retour comme je vous ai conté, ne s’y mirent point sitôt messire Guillaume de Lignac ni messire Gautier de Passac, ni leurs routes, où bien avoit, par plusieurs connétablies, plus de trois mille lances, et bien six mille autres gens et gros varlets. Nequedent tous les jours se départoient-ils ; et se mettoient au retour, petit à petit, ceux qui étoient cassés de leurs gages, et tous hodés de la guerre. Et se mettoient les plusieurs au retour, mal montés, et tous descirés. Et vous dis que les rencontres de telles gens n’étoient pas bien profitables, car ils démontoient tous ceux qu’ils rencontroient, et prenoient guerre à tous marchands et à toutes gens d’église, et à toutes manières de gens demourant au plat pays, où il y avoit rien à prendre ; et disoient les routiers : que la guerre les avoit gâtés et appovris, et le roi de Castille mal payés de leurs gages, si s’en vouloient faire payer. Et sachez que cités, chastels et bonnes villes, si elles n’étoient trop fort fermées, se doutoient en Castille moult fort d’eux. Et se cloyrent toutes villes, cités et chastels à l’encontre d’eux, pour eschiver les périls, car tout étoit d’avantage ce que trouver ils pouvoient, si trop fort n’étoit défendu.

Tous chevaliers et écuyers qui retournoient par la terre au comte de Foix, mais qu’ils l’allassent voir, étoient de lui bien venus : et leur départoit de ses biens largement : et coûta le dit voyage au comte de Foix, le aller et le retourner, de sa bonne et propre volonté, en celle saison comme il me fut dit à Ortais, plus de quarante mille francs.

Or avint un incident, sur ceux de la ville de Saint-Phagon en Espaigne, depuis le département du duc de Bourbon, que je vous recorderai, qui coûta, si comme je vous dirai, la vie de cinq cens hommes. Vous devez savoir que, quand messire Guillaume de Lignac et messire Gautier de Passac entrèrent premièrement en Espaigne, leurs routes qui étoient grandes et grosses s’épandirent en plusieurs lieux sur le pays, et à l’environ de Saint-Phagon où il y a très bon pays et gras, et rempli, en temps de paix, de tous biens. En leur compagnie avoit grand’foison de Bretons, de Poitevins, d’Angevins, de Saintongiers, et de gens des basses marches. Ceux qui vinrent premiers à Saint-Phagon, entrèrent en la ville, cy six, cy dix, cy quinze, cy vingt ; et tant qu’il en y eut plus de cinq cens, que uns que autres, varlets des seigneurs. Et ainsi comme ils venoient, ils se logeoient ; et, quand ils étoient logés, ils pilloient et déroboient les hôtels, et rompoient coffres et huches, et troussoient tout le meilleur. Quand les citoyens virent la manière d’eux, ils fermèrent leur ville, afin que plus n’y en entrât ; et quand ces étrangers se devoient reposer, on cria en la ville : « Aux armes ! » et avoient les Espaignols tout leur fait jeté de jour. Ils entrèrent en ces hôtels là où le plus il y en avoit de logés ; et, comme ils les trouvoient, ils les occioient, sans pitié et sans merci ; et en occirent celle nuit plus de cinq cens ; et y furent tous heureux ceux qui sauver se purent et issir hors de ce péril. Les nouvelles en vinrent au matin aux seigneurs qui approchoient Saint-Phagon et qui étoient logés tout autour. Si se mirent tous ensemble, pour savoir quelle chose il étoit bon de faire ; et, eux bien conseillés, les seigneurs dirent que ce n’étoit pas bon de prendre en le présent nulle vengeance ; et que, s’ils commençoient à détruire et gréver les villes et les cités, ils les trouveroient toutes ennemies ; dont leurs ennemis seroient réjouis. « Mais, quand notre voyage prendra fin, et nous nous mettrons au retour, lors parlerons-nous et compterons à eux. » Ainsi passèrent outre, sans montrer nul semblant ; mais pour ce ne l’avoient-ils pas oublié. Or avint que, quand toutes gens se mettoient au retour, fors ceux qui étoient là demourés de-lez le connétable, messire Olivier du Glayaquin, par espécial Bretons et ceux des basses marches se mirent ensemble et dirent ainsi entre eux : « Nous payâmes notre bien venue à ceux de Saint-Phagon ; mais ils payeront notre bien allée. C’est raison. » Tous ceux furent de cel accord. Et se cueillirent plus de mille combattans, et approchèrent Saint-Phagon, et entrèrent en la ville, sans nul guet que les citoyens fissent sur eux. Car ils n’y pensoient plus, et cuidoient bien que tout fût oublié, et que jamais ne se dût le mal talent renouveler ; mais si fit, à leur grand dommage, car, quand ils cuidoient être le mieux à sûr, ce fut qu’on cria, en plus de cent lieux : « Aux armes ! » et fut dit : « Meurent tous les citoyens et les villains de la ville ! et tout soit pris, et quant qu’ils l’ont, car ils ont forfait ! »

    Toulouse où il avait donné rendez-vous au roi de Navarre, et tous deux s’acheminèrent ensemble vers Paris.