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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

Donc vissiez ces Bretons et ces routes entrer en ces hôtels, là où ils espéroient plus gagner, rompre huches et escrins, et occire hommes, femmes et enfans, et faire grand esparsin du leur. Ce jour en y eut d’occis plus de quatre cens ; et fut la ville toute pillée et robée, et bien demi arse ; dont ce fut dommage. Ainsi se contrevengèrent les routes de leurs compagnons, et se départirent puis de Saint-Phagon.

Les nouvelles vinrent au roi de Castille, et lui fut ainsi dit, que les gens à messire Guillaume de Lignac et à messire Gautier de Passac, avoient couru, robé et pillé la bonne ville de Saint-Phagon, et occis les citoyens, bien par nombre de quatre cens, et puis bouté le feu en la ville ; et lui fut encore dit, que si les Anglois l’eussent conquise de fait par assaut ou autrement, ils ne l’eussent point si villainement atournée comme elle étoit. En ce jour et en celle heure y étoient les deux chevaliers dessus nommés, qui en furent grandement repris du roi et du conseil. Ils s’excusèrent et dirent, Dieu leur pût aider, que de celle aventure ils ne savoient rien ; mais bien avoient ouï dire à leurs routes, que mal se contentoient d’eux. Car, quand ils passèrent premièrement, et ils entrèrent en Castille, et furent logés à Saint-Phagon, on leur occit leurs compagnons ; dont le mal talent leur en étoit demouré au cœur : « Mais vraiement nous cuidions qu’ils l’eussent oublié. » Le roi d’Espaigne passa ces nouvelles, et passer lui convint, car trop lui eût coûté s’il le voulsist amender, mais il n’en sçut pas meilleur gré aux capitaines ; et leur montra ; en quoi, je le vous dirai. Au départir, quand ils prirent congé du roi pour retourner en France, s’il fut bien d’eux, si comme on peut bien supposer, il les eût plus largement payés qu’il ne fit ; et bien s’en sentirent ; et aussi le duc de Bourbon qui là étoit venu souverain chef et capitaine, et qui premier s’étoit mis au retour, au bon gré du roi et de ses gens, lui et les barons et chevaliers de sa route en avoient porté et levé toute la graisse. Or se vidèrent ces gens hors de Castille, par plusieurs chemins : les aucuns par Biscaye, les autres par Catalogne et les autres par Arragon. Et revenoient les plus des chevaliers et des écuyers qui n’avoient entendu à nul pillage, mais singulièrement vécu de leurs gages, tous povres et mal montés ; et les autres qui s’étoient enhardis et avancés d’entendre au pillage et à la roberie, bien montés et bien fournis d’or et d’argent, et de grosses malles. Ainsi est de telles aventures ; l’un y perd et l’autre y gagne. Le roi de Castille fut moult réjoui quand il se vit quitte de telles gens.

CHAPITRE LXXXIX.

Comment le duc de Lancastre, étant parti de Saint-Jacques et de Connimbres en Portingal, arriva par mer à Bayonne.


Or retournons un petit au duc de Lancastre qui gisoit malade en la ville de Saint-Jacques, et la duchesse sa femme, et Catherine leur fille. Vous devez bien croire et imaginer que le duc de Lancastre n’étoit pas le plus de la nuit et du jour sans ennui ; car il véoit ses besognes en dur parti, et sa bonne chevalerie morte qu’il plaignoit et pleuroit, si comme on peut dire, tous les jours, et lesquels à grand’peine il avoit mis et élevés hors d’Angleterre : et si n’étoit nul, ni nulle, au royaume de Castille ni ailleurs, qui traitât envers lui pour venir à paix par composition, ni qui voulsist tenir sa femme à héritière, ni lui donner part ni partie : mais oyoit dire par ses gens, qui étoient informés d’aucuns pèlerins qui tous les jours venoient à Saint-Jacques en pélerinage, de Flandre, de Hainaut, de Brabant et d’autres pays, et qui étoient passés parmi ces gens d’armes de France et aussi tout parmi le royaume d’Espaigne, que les François et ceux qui s’en alloient, ne se faisoient que truffer de lui, et disoient aux pélerins : « Vous vous en allez à Saint-Jacques ; vous y trouverez le duc de Lancastre qui se donne du bon temps et se tient en l’ombre et en ses chambres, pour la doutance du soleil. Recommandez-nous à lui ; et si lui demandez, par votre foi, si entre nous François savons guerroyer, et si nous lui avons fait belle guerre, et s’il se contente de nous. Les Anglois souloient dire que nous savions mieux danser et caroler que mener guerre. Or est le temps retourné ; ils se reposeront et caroleront : et nous garderons nos marches et nos frontières, tellement que point n’y prendrons de dommage. »

Le duc de Lancastre, comme sage chevalier et vaillant homme, souffroit et prenoit tout en gré, car faire le lui convenoit ; et sitôt comme il put chevaucher il se départit, aussi firent sa femme et sa fille et toutes leurs gens, de la ville de Saint-Jacques, car le roi de Portingal l’envoya querre par son connétable, le comte de No-