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LIVRE III.

vaire et par messire Jean Ferrand Percek, atout cinq cens lances. En celle route étoient, du royaume de Portingal, tout premièrement le Pouvasse de Congne, et son frère Vas Martin de Congne, Égeas Coille, Vas Martin de Merlo, Goussalvas de Merlo, Galop Ferrand Percek, messire Alve Perrière, Jean Rodrigues Perrière, Jean Gomes de Silve, Jean Rodrigues de Sar, et tous barons.

En la compagnie d’iceux et de leurs gens se mirent le duc de Lancastre, la duchesse sa femme, et sa fille ; et se départirent un jour de la ville de Compostelle ; et se mirent à chemin ; et chevauchèrent tant par leurs journées, qu’ils vinrent en la cité du Port où le roi les attendoit, et la roine, qui leur firent bonne chère. Assez tôt après que le duc de Lancastre fut là venu, se départirent le roi et la roine ; et s’en allèrent à Conimbres, à une journée de là. Le duc de Lancastre se tint bien deux mois au Port, et entrues ordonna-t-il toutes ses besognes ; et eut gallées du roi, lesquelles il fit appareiller, et le maître patron de Portingal, qui s’appeloit Dam Alphonse Vretat. Quand ils virent qu’il faisoit bon sur la mer, et qu’ils eurent vent à point et bon pour eux, le duc et la duchesse, et leur fille, et toutes leurs gens entrèrent en leurs vaisseaux ; et puis désancrèrent ; et prirent le parfond ; et furent en un jour et demi dedans Bayonne, là où il y a plus de soixante et douze lieues ; et là arrivèrent ; et n’y trouvèrent point messire Jean de Hollande ni les Anglois, car ils s’en étoient partis et venus à Bordeaux, et là montés en mer et retraits vers Angleterre. Si se tint le duc de Lancastre à Bayonne, un long temps ; et se gouvernoit et s’étoffoit des revenues des Bayonnois et des Bordelois, et de la terre d’Aquitaine, de ce qui étoit en l’obéissance du roi Richard d’Angleterre, car il avoit commission de prendre, lever et recevoir tous les profits de ces terres ; et s’en escripvoit duc et mainbour[1]. Nous nous souffrirons à parler, pour le présent, du duc de Lancastre, et des Anglois, tant que point sera, et nous rafreschirons d’autres nouvelles.

CHAPITRE XC.

Comment le comte d’Ermignac mit grand’peine de traiter aux compagnons, pour leur faire rendre leurs forts, en leur délivrant argent ; et comment le comte de Foix l’en empêcha secrètement.


En ce temps se tenoit le comte d’Ermignac en Auvergne, et étoit en traité envers les compagnons, lesquels tenoient grand’foison de forts et de garnisons en Auvergne, en Gévaudan, en Quersin et en Limousin. Le comté d’Ermignac avoit grand’affection, et bien le montra, de faire partir les capitaines ennemis du royaume de France, et leurs gens, et de laisser les chastels qu’ils tenoient, dont les terres dessus nommées étoient foulées et amoindries grandement. Et étoient en traité tous ceux qui forts tenoient et qui guerre faisoient, excepté Geoffroy Tête-Noire, qui tenoit Ventadour, envers le comte Jean d’Ermignac ; et devoient les capitaines prendre et recevoir, à un payement, deux cent cinquante mille francs. À la somme de florins payer s’obligèrent les terres dessus nommées, qui volontiers se vissent délivrées de tels gens, car ils ne pouvoient labourer les terres ni aller en leurs marchandises, ni rien faire hors des forts, pour la doutance de ces pillards dessus dits, s’ils n’étoient bien acconvenancés et appactis ; et les appactis, selon ce que ils avoient sommé leurs comptes, montoient bien par an, en ces terres dessus dites, autant comme la rédemption des forts et des garnisons devoit monter.

Or, quoique ces gens fissent guerre d’Anglois, si y en avoit-il trop petit de la nation d’Angleterre : mais étoient Gascons, Bretons, Allemands, Foissois, Béarnois, Ermignacs et gens de divers pays qui s’étoient là ainsi recueillis et mis ensemble pour mal faire. Quand les compositions des rédemptions devoient être faites par tous accords, voir est qu’ils exemptoient Geoffroy Tête-Noire et son fort, car pour eux il n’en fesist rien, le comte d’Ermignac pria au comte dauphin d’Auvergne, qui étoit un grand chef, de traiter avecques lui, car bien s’en savoit ensoigner, et que par amour il se voulsist de tant charger et travailler, que d’aller en France devers le roi et son conseil, les ducs de Berry et de Bourgogne, lesquels pour le temps avoient le gouvernement du royaume, pour faire leurs besognes plus fermement et authentiquement, car sans eux ils

  1. Tuteur, gouverneur.