Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/653

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
[1387]
647
LIVRE III.

faire, pour garder et défendre son héritage, car en Lombardie appert grand’guerre. »

Sur ces paroles ne répondit rien le comte de Foix, et ne fit aucun semblant de l’avoir entendu ; et se tourna autre part ; et rentra à ses gens en autres paroles. Et pour ce n’en pensa-t-il pas moins : ains regarda espoir, et si comme on peut imaginer et qu’on a vu les apparences depuis, qu’il encombreroit couvertement et grandement la besogne. Je vous dirai comment. Oncques le comte d’Ermignac ne put finir, pour traité qu’il sçût dire ni faire ni montrer ni prêcher envers ceux qui étoient de la comté de Béarn et des tenures au comte de Foix ou de sa faveur, de quel pays que ce fût qu’ils voulsissent rendre forteresse ni garnison qu’ils tinssent, ni eux en rien aconvenancer, ni allier au comte d’Ermignac, ni à Bernard, son frère ; car le comte de Foix, qui est plein de grand’prudence, regardoit que ces deux seigneurs d’Ermignac, ses cousins, avecques les Labriciens[1], étoient puissans hommes et en leur venir, et acquéroient amis de tous lez. Si ne les vouloit pas renforcer de ceux qui le devoient servir. Encore imagina le comte de Foix un point très raisonnable : car messire Espaing du Lyon le me dit quand je fus à Ortais, et aussi fit le Bourg de Compane, capitaine de Carlat en Auvergne, avecques le Bourg Anglois. Le comte de Foix regarda qu’il avoit guerre ouverte envers ceux d’Ermignac : et ce que de présent y avoit de délai, ce n’étoit que par trèves, dont on a usage que cinq ou six fois l’an on les renouvelle ; et le comte d’Armignac avoit sur les champs, en son obéissance, tous ces compagnons, capitaines et autres qui sont usés d’armes, Sa guerre en seroit ainsi plus belle ; et pourroient les Armignacs et les Labriciens, avecques leurs alliés, faire un grand déplaisir au comte de Foix. C’est la principale cause pourquoi les favorables et les tenables du dit comte de Foix ne s’accordèrent point au comte d’Armignac. Si lui donnèrent-ils espérance que si feroient-ils : mais c’étoit toujours en eux dissimulant, car, de ses journées, ils n’en tenoient nulles : mais ils ne couroient pas sur le pays si soigneusement comme ils souloient faire, avant que les traités fussent entamés.

Par ce point cuida le comte d’Ermignac toujours venir à ses ententes ; et les greigneurs capitaines qu’il attrairoit le plus volontiers à lui, ce sont Perrot le Béarnois qui tenoit le fort chastel de Caluset et qui étoit le souverain en Auvergne et en Lymosin de tous les autres, car ses pactis duroient jusques à la Rochelle. Les autres ce sont : Guillonnet de Sainte-Foy qui tenoit Bouteville, et aussi Aimerigot Marcel qui tenoit Aloyse, de-lez Saint-Flour en Auvergne, et le Bourg de Compane et le Bourg Anglois qui tenoient Carlat. Assez tôt auroit-il Aimerigot Marcel, comme il disoit, mais qu’il pût avoir Perrot le Béarnois. Geoffroy Tête-Noire, qui tenoit Ventadour et qui étoit encore souverain de tous les autres, ne se faisoit que gaber et truffer, et ne daignoit entendre à nul traité du comte d’Ermignac, ni d’autrui aussi, car il sentoit son chastel fort et imprenable, et pourvu pour sept ou pour huit ans de bonnes garnisons : et si n’étoit pas en puissance de seigneur, qu’on leur pût clorre un pas ou deux, en issant hors de leur fort, quand ils vouloient, pour eux rafreschir. Et mettoit en ses lettres Geoffroy Tête-Noire, et en ses saufs conduits et lettres de pactis : Geoffroy Tête-Noire, duc de Ventadour, comte de Limousin, sire et souverain de tous les capitaines d’Auvergne, de Rouergue et de Limousin. »

Nous nous souffrirons à parler de ces besognes lointaines, tant que aurons cause d’y retourner. Si nous rafreschirons des besognes prochaines, tant qu’à ma nation, si comme il est contenu en le procès du premier feuillet du tiers livre qui se reprend à la fin de la guerre de Flandre, et de la charte de la paix que le duc de Bourgogne et la duchesse donnèrent, accordèrent et scellèrent à ceux de Gand, en la bonne ville et noble cité de Tournay, et entrerons en nos traités, pour renforcer notre matière et histoire de Guerles et de Brabant. Et m’en suis ensoigné et réveillé de ce faire, pour la cause de ce que le roi de France et le duc de Bourgogne, auxquels il en toucha grandement par les incidences qui s’y engendrèrent, mirent la main à celle guerre : et, pour venir au fond de la vraie histoire et matière, et le contenir au long, je dirai ainsi.

  1. Ceux du parti d’Albret.