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LIVRE III.

Julliers notables hommes tels que le seigneur de Urtonne, le seigneur de Borgneval, messire Jean Seclar, archidiacre de Hainaut, Geffroy de la Tour, grand rentier de Brabant, et autres, en lui remontrant bellement, sagement et doucement, que celle offense fût amendée, et qu’elle touchoit trop grandement au blâme et préjudice du duc de Brabant, qui étoit gardien et souverain regard de la Languefride. Le duc de Julliers s’excusa foiblement, car, à ce qu’il montroit, il aimoit autant la guerre que la paix, et tant que le conseil du duc de Brabant, qui de profond sens étoit, ne s’en contenta pas bien ; et prirent congé au duc de Julliers qui leur donna ; et retournèrent en Brabant, et recordèrent ce qu’ils avoient trouvé.

Quand le duc de Brabant entendit ce, il demanda conseil quelle chose en étoit bon à faire. On lui répondit : « Sire, vous le savez bien. Dites-le de vous-même. » — « Je le vueil, dit le duc. C’est l’intention de moi, que je ne me vueil pas endormir en ce blâme, ni qu’on dise que par lâcheté ou par faintise de cœur, je souffre sur ma sauvegarde robeurs, ni à faire nulles villenies, roberies, ou pilleries. Car je montrerai, et vueil montrer de fait à mon comte Guillaume de Julliers et à ses aidans, que la besogne me touche. »

Le duc ne se refroidit pas de sa parole : ains mit clercs en œuvre ; et il envoya devers ceux desquels il pensa être servi et aidé. Les uns prioit, et les autres mandoit ; et envoya suffisamment défier le duc de Julliers, et tous ceux qui de son alliance étoient. Chacun de ces seigneurs se pourvéirent grossement et bien. Le duc de Julliers eût eu petite aide, si n’eût été son beau-frère, messire Édouard de Guerles. Mais il le reconforta grandement de gens et d’amis. Et faisoient ces deux seigneurs leurs mandemens quoiement et bien avant en Allemagne ; et, pourtant qu’Allemands sont convoiteux et désirent fort à gagner, et grand temps y avoit qu’ils ne s’étoient trouvés en place où ils pussent avoir nulle bonne-aventure de pillage, vinrent-ils plus abondamment, quand ils sçurent de vérité qu’ils avoient à faire contre le duc de Brabant. Le duc de Brabant en grand arroy et noblesse départit de Bruxelles ; et s’en vint à Louvain, et de là à Tret-sur-Meuse[1] ; et là trouva plus de mille lances de ses gens, qui l’attendoient. Et toujours gens lui venoient de tous côtés, de France, de Flandres, de Hainaut de Namur, de Lorraine, de Bar, et d’autres pays ; et tant qu’il eut bien deux mille et cinq cens lances de très bonnes gens. Et encore lui en venoit de Bourgogne, que le sire de Grant lui amenoit, et où bien y avoit quatre cens lances. Mais ceux vinrent trop tard ; car pas ils ne furent à la besogne que je vous dirai : dont assez leur ennuya, quand ils vinrent et ouïrent dire qu’elle étoit passée sans eux. Le duc de Brabant étant à Tret-sur-Meuse, ouït trop petites nouvelles de ses ennemis. Lors voult le duc chevaucher ; et se partit de Tret par un mercredi ; et s’en vint loger sur la terre de ses ennemis ; et là se tint tout le soir et la nuit, et le jeudi, tant qu’il en ouït autres certaines nouvelles ; et lui fut dit par ses coureurs, qui avoient découvert sur le pays, que ses ennemis chevauchoient.

Adoncques se délogea et chevaucha plus avant, et commanda à bouter le feu en la terre de Julliers, et se logea ce jeudi, de haute heure ; et faisoient l’avant-garde le comte Guy de Ligny, comte de Saint-Pol, et messire Walleran, son fils ; lequel pour ce temps étoit moult jeune, car il n’avoit que seize ans, et fut là fait chevalier. Ces gens approchèrent, et se logèrent ce jeudi assez près l’un de l’autre ; et, à ce qu’il apparut, les Allemands savoient trop mieux le convenant des Brabançons, qu’on ne savoit le leur. Car, quand ce vint le vendredi au matin, que le duc de Brabant eût ouï sa messe, et que tous étoient sur les champs, et ne se cuidoient pas combattre si très tôt, véez ci venir le duc de Julliers et messire Édouard de Guerles, tous bien montés, en une grosse bataille. On dit au duc de Brabant : « Sire, véez ci vos ennemis. Mettez vos bassinets en têtes, au nom de Dieu et de Saint Georges. » De celle parole eut-il grand’joie. Pour ce jour, il avoit de-lez lui quatre écuyers de grand’volonté et grand’vaillance, et bien taillés de servir un haut prince et à être de-lez lui ; car ils avoient vu plusieurs grands faits d’armes, et été en plusieurs besognes arrêtées : ce furent Jean de Walton, Baudoin de Beaufort, Girard de Biez, et Roland de Coulogne.

Autour du duc, sur les champs, étoient ces Bruxellois, montés les aucuns à cheval, et leurs varlets par derrière eux qui portoient flacons et bouteilles pleines de vin, troussées à leurs selles,

  1. Maestricht.