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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

CHAPITRE CIII.

Comment, étant le conseil de France en délibération d’aller contre le duc de Guerles qui avoit outrageusement défié le roi, le duc de Berry envoya le comte d’Estampes vers le duc de Bretagne, pour tâcher premièrement à le regagner au parti de France, après s’en être presque ouvertement étrangé par la prise du connétable de Cliçon.


Vous avez bien cy-dessus ouï recorder comment le duc de Guerles avoit défié le roi de France, par défiances impétueuses et dont on parla en plusieurs manières dedans le royaume et dehors aussi, pourtant que les défiances, si comme renommée couroit, n’avoient pas été courtoises, mais hors du stile, usage et ordonnance des autres défiances. Bien est vérité que j’en vis aucunes cédulles, jetées et escriptes en papier ; et disoit-on que c’en étoit la propre copie. Mais, pourtant que je ne les vis ni scellées, ni approuvées ainsi que telles choses doivent être, qui touchent si grandement que d’un petit prince, au regard du roi de France avoir défié si haut si noble et si puissant roi que le roi de France, je n’y ajoutai point de foi ni de crédence. Nequedent, on montra bien depuis au royaume que les défiances déplaisoient, et qu’on vouloit qu’il fût amendé, et que ce duc de Guerles s’excusât des impétueuses paroles qui en la défiance étoient contenues. Car on ne pouvoit voir, ni trouver au conseil du roi, que celle chose demourât honorablement ainsi, car les hauts barons de France disoient que, si le roi n’y remédioit, quoi ni combien qu’il dût coûter de finance ni de chevance au royaume de France, on y prendroit trop grand blâme. Car le roi étoit jeune et à venir, et en volonté de travailler ; et bien l’avoit montré en Flandre et ailleurs, comment de bonne volonté il alloit au devant de ses besognes ; et si il n’alloit au devant de ceux qui étoient hors rieulle de raison, les pays voisins auxquels il n’en touchoit rien, en parleroient diversement sur les nobles du royaume de France qui avoient le roi à conseiller, et avoient juré à garder son honneur.

À toutes ces choses remettre à point et à former sur droit, et que le roi ni le royaume n’y eussent point de blâme, rendoit grand’peine et conseil le sire de Coucy ; et montroit bien que la chose lui touchoit. Car il connoissoit trop mieux les Allemands que nul des autres ; pourtant qu’il avoit travellé et été entre eux plusieurs fois, tant pour la chalenge de la duché d’Osterice dont on lui faisoit grand tort, que pour autres incidences et actions qu’il avoit eues entre eux. Aussi, les deux oncles du roi véoient bien que la greigneur partie des nobles du royaume s’inclinoient à ce qu’il fût amendé ; et par espécial le duc de Bourgogne y avoit grande affection, et pour cause ; car le duc de Guerles hérioit sa belle ante, la duchesse de Brabant et son pays, lequel héritage lui devoit retourner après le décès des dames qui jà étoient toutes anciennes, la duchesse et sa sœur. Si eût le duc de Bourgogne vu volontiers, ou par guerre, ou par moyen, que ce duc de Guerles, qui étoit assez chevaleureux, fût rebouté et appaisé. Or convenoit, avant que toutes ces choses se fissent, que les membres du royaume de France fussent tous en un. Car trop long chemin y avoit, pour le roi, à aller de France en Allemagne conquêter terre et pays et mettre seigneurs à raison et à mercy ; et ne le pouvoit le roi faire seul, qu’il n’eût toute sa puissance avecques lui. Car on ne savoit pas si Allemands, qui sont convoiteux, se allieroient avecques le duc de Guerles, et lui voudroient aider à porter ses défiances.

Outre ce, le duc de Bourgogne et les autres, nobles et hauts barons de France et du conseil du roi, sentoient le duc de Bretagne en grand différent contre le royaume de France ; et avoit commencé à ouvrer merveilleusement ; et montroit, par ses œuvres, qu’il avoit autant cher la guerre que la paix au royaume de France ; et savoient bien les seigneurs qu’il pourvéoit et faisoit pourvoir en Bretagne, ses villes, ses cités, ses chastels, et ses bonnes villes, grandement et grossement, de pourvéances, en recueillant gens et artillerie, pour les défendre et tenir contre siéges. Avecques tout ce, il envoyoit et escripvoit souvent en Angleterre, et rafreschissoit le roi d’Angleterre et son conseil de paroles et de promesses traitables grandement, à amour et en reformation d’alliances, et à durer à toujours mais icelles, où les Anglois y prenoient, pour le temps à venir et pour renforcer et embellir leur guerre, grand espoir. Si ne vouloient pas les nobles du royaume de France qui le royaume avoient à conseiller, laisser celle bruine de Bretagne, qu’elle ne fût abattue ou ôtée aucunement, par bon conduit et bon incident : pourquoi le royaume fût hors de celle doute.