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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

étoit venu si avant, qu’il n’avoit rien fait, s’il ne venoit à Paris voir le roi qui trop grandement le désiroit à voir. De ce voyage se commença fort à excuser ce duc de Bretagne par plusieurs raisons ; et dit qu’il étoit trop deshaitié pour faire un long chemin ; et que là il étoit simplement venu, sans nul arroy, ainsi que pour tantôt retourner.

On lui dit moult doucement que, sauve fût sa femme, il ne lui convenoit point avoir trop grand état pour venir voir le roi, son souverain seigneur ; et qu’au besoin, s’il ne pouvoit chevaucher, ils étoient tous pourvus de char et de litière pour venir plus aisément ; et qu’il étoit tenu de faire hommage au roi, car encore ne l’avoit-il point fait. Le duc disoit, en lui excusant, que, quand le roi auroit son âge, et qu’il seroit en son gouvernement, sans le gouvernement de ses oncles, il viendroit à Paris, ou là où il plairoit au roi lui mander ; et lui feroit hommage, car ce seroit raison. Les deux ducs de Berry et de Bourgogne disoient par douces paroles, qu’il avoit âge et sens assez pour recevoir hommage ; et que tous les seigneurs du royaume de France tenans de lui, excepté lui à qui ils parloient, l’avoient fait et relevé ; et qu’il étoit au vingt et unième an de son âge.

Quand le duc de Bretagne vit que ses excusances ne seroient point ouïes, ni auroient leur lieu, si dit ainsi : « Si je vais à Paris, ce sera trop grandement hors de ma volonté, et en mon préjudice. Car là est, ou sera, quand j’y serai, messire Olivier de Cliçon que je ne puis aimer, ni jamais n’aimerai, ni il moi, qui m’assaudra de paroles déplaisantes et impétueuses. Or regardez les grands meschefs qui en pourront naître et venir. » — « Nenny, répondirent les deux ducs et par espécial le duc de Bourgogne, beau-cousin, ne faites nulle doute de ce côté-là, car nous vous jurons solemnellement et véritablement que jà le connétable ni Jean de Bretagne, si vous ne voulez, vous ne les verrez ni ne parlerez à eux ; de ce point soyez tout assurés ; mais verrez le roi qui vous désire à voir, et les autres barons et chevaliers de France qui vous feront bonne chère ; et quand vous aurez fait ce aimablement pourquoi vous serez là venu, vous vous en retournerez sans péril et sans dommage. »

Que vous ferai-je long conte ? Tant fut le duc de Bretagne prié et mené de douces paroles et courtoises, qu’il s’assentit à ce, et se condescendit qu’à Paris il iroit. Mais toutefois ses devises étoient telles : que le connétable de France ni Jean de Bretagne point ne verroit, ni en la présence de lui point on ne les mettroit ; et tout ce lui eurent les deux ducs, par foi et par serment, loyalement en convenance ; et il leur créanta aussi par sa foi, que sur cel état à Paris il viendroit.

Environ cinq ou six jours après furent-ils là à Blois ensemble ; et donnèrent les ducs, chacun à la tour, à dîner moult humblement et très hautement à l’un l’autre, et la comtesse de Blois aussi, et ses enfans ; et, quand ces choses furent toutes accomplies, les deux ducs prirent congé au duc de Bretagne, et s’en retournèrent aussi vers Paris ; mais messire Guillaume de Hainaut ne retourna pas à Paris avecques son beau-père et seigneur, monseigneur de Bourgogne ; avant se mit-il à chemin, avecques la comtesse de Blois et son cousin Louis de Blois, et sa cousine la fille au duc de Berry ; et s’en vint en leur compagnie à Chastel-Regnaud, voir le comte Guy de Blois qui là se tenoit, lequel lui fit très bonne chère et le vit moult très volontiers ; et fut en ébatement là, de-lez eux, environ trois jours ; et puis prit congé ; et se partit d’eux ; et s’en retourna en France, par Châteaudun et par Bonneval.

CHAPITRE CXI.

Comment Louis d’Anjou, fils du feu duc d’Anjou qui fut oncle du roi Charles sixième, entra dedans Paris, comme roi de Sicile : comment le duc de Bretagne y entra la nuit Saint-Jean-Baptiste, l’an mil trois cent quatre vingt huit, et d’un fait d’armes qui fut fait devant le roi à Montreau-faut-Yonne, d’un Anglois appelé messire Thomas Harpinghen avec messire Jean des Barres.


Le duc de Bretagne s’en vint à Bois-Gency sur Loire, et là ordonna une partie de ses besognes, pour venir vers Paris. En ce temps entra à Paris, par avant que le duc de Bretagne y entrât, la roine de Sicile et de Hierusalem, qui femme avoit été au duc d’Anjou qui nommé s’étoit roi de toutes ces terres et aussi de Naples ; et vous dis que la dame, pour ce en fais-je mention, amenoit son jeune fils Louis en sa compagnie ; lequel on nommoit jà, par toute France, roi des terres dessus dites. En leur compagnie étoit Jean de Bretagne, frère à la dame ; et venoient à Paris. Avant que la dame entrât en Paris, elle signifia à ses frères, les ducs de Berry