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LIVRE III.

nons devant l’image Notre-Dame, à Nimaige, afin qu’il en soit perpétuelle mémoire.

CHAPITRE CXVI.

Comment le duc de Guerles, après ce qu’il eut déconfit les Brabançons, se trait à Nimaige : et comment les nouvelles vinrent au roi de France et à ses oncles de celle déconfiture, et comment le roi et son conseil envoyèrent messagers en ambaxade au roi d’Allemagne, pour guerroyer plus sûrement en Guerles.


À peine puis-je recorder ni escripre, pour honneur, la honteuse déconfiture qui fut ce jour sur les Brabançons ; mais au cas que j’ai promis, si comme je ennarre au chef de mon livre, au cas que je vueil tout chroniser et faire juste histoire, il m’en faut faire vraie et bonne narration, sur qui que la fortune tourne. Le jeune duc de Guerles eut celle journée pour lui, qui fut en l’an de grâce mil trois cent quatre vingt et huit, environ la Madeleine, au mois de juillet. Quand la déconfiture et la chasse fut passée, et le champ tout délivré, et ce fut tantôt fait, en moins de deux heures, les Guerlois se mirent tous ensemble sur les champs ; et furent très grandement réjouis, et bien le devoient être, de la belle aventure qu’ils avoient trouvée ; car ils tenoient autant de prisonniers, ou plus qu’ils ne furent de gens. Là étoient les hérauts de leur côté, qui cherchoient les morts, et qui avoient été entre les batailles. Entre les morts y fut occis en beau fait d’armes un jeune chevalier de la comté de Namur qui s’appeloit Wautier de Zelles, sire de Balastre ; de laquelle mort et aventure le duc de Guerles, quand on lui conta, fut trop durement courroucé ; et le plaignit, et bien le montra ; et dit que la mort du jeune chevalier déplaisoit à lui grandement, car il étoit gracieux homme, habile, courtois et joli ; et aussi ledit chevalier, l’année devant, avoit été en Prusse avec le duc et sa compagnie ; pourquoi, de la mort de lui il en fut plus tendre. Si regardèrent le duc et ses gens tous sur les champs ; et eurent conseil et avis quelle chose ils feroient, s’ils s’en iroient à Gavres, pour eux rafreschir et là mettre leurs prisonniers. « Nenny, dit le duc. Je me donnai et vouai, au département de Nimaige, et suis donné et voué hui, au commencement de la bataille, à Notre-Dame de Nimaige. Si vueil et ordonne que tous à lie chère retournons celle part, et allons voir et remercier la dame, qui nous a bien aidé à avoir victoire. »

Ce conseil fut tenu ; nul ne l’eût brisé, puisque le duc avoit parlé. Si se mirent à chemin, et chevauchèrent les grands galops vers Nimaige. Il n’y avoit que deux bonnes lieues de là où la bataille avoit été ; tantôt l’approchèrent. Quand les nouvelles furent venues à Nimaige, et ils sçurent la vérité de la besogne, donc vissiez gens réjouis, hommes, femmes et enfans, et le clergé issir à l’encontre de la venue du duc, et les recueillir à grand’joie. Le duc de Guerles, accompagné de ses chevaliers, sans tourner autre part, s’en vint tout droit à l’église où celle image de Notre-Dame est où il avoit si grand’fiance ; et là devant l’hôtel, en la chapelle, se désarma de toutes pièces, et se mit en pur son flotternel ; et donna toutes ses armures à l’image, en la remerciant et regraciant de la belle journée qu’il avoit eue ; et là furent mis tous les pennons des chefs et des seigneurs, qui ce jour furent pris en la bataille, par devant l’image Notre-Dame ; je ne sais s’ils y sont encore. Et puis s’en vint le duc en son hôtel, et tous les chevaliers ; et chacun se retrait au sien si comme ils étoient logés ; et pensèrent d’eux et de leurs prisonniers, car ils pensoient bien qu’ils payeroient l’escot.

Grands nouvelles furent en plusieurs lieux de ce duc de Guerles, qui avoit ainsi rué jus les Brabançons ; et puis il fut plus douté et honoré qu’il n’étoit en devant. La duchesse de Brabant qui se tenoit au Bois-le-Duc, atout son état, quand elle vit que les choses se portoient mal et que le siége de Gavres étoit levé, fut toute courroucée ; et bien cause y avoit, car la chose lui touchoit de trop près. Si ordonna garnison au Bois-le-Duc, pour garder la frontière ; et puis s’en départit et s’en retourna, parmi la Campine, à Bruxelles, et là se tint un très grand temps, tant qu’elle ouït autres nouvelles : et escripvoit souvent de son état devers le duc de Bourgogne, où toute son espérance de recouvrer étoit.

Yous devez bien croire et savoir que ces nouvelles, qui avenues étoient du duc de Guerles sur les Brabançons entre la ville de Gavres et Ravestain, furent tantôt sçues et volées au royaume de France, et par espécial en la cour du roi ; on n’en fit compte, au cas que le roi avoit si grand’affection de là aller. On escripvit tantôt devers messire Guillaume de la Trémoille et devers messire Servais de Méraude qui étoient souverains capitaines des gens d’armes que le duc de Bour-