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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

De celle parole se contentèrent grandement les messagers du roi de France, et leur fut avis qu’ils avoient bien exploité. Si en demandèrent doucement de la réponse lettres. Le roi d’Allemagne dit qu’ils les auroient volontiers. Ils demourèrent ce jour en l’hôtel du roi, au dîner, et leur fit-on bonne chère, car le roi le commanda ; et après le dîner ils se retrairent en leur hôtel. Que vous ferois-je long conte ? Ils exploitèrent de tous points si bien, qu’ils eurent lettres et réponses à leur gré. Puis prirent congé au roi d’Allemagne, et se mirent au retour par le chemin que ils étoient venus. Or parlerons-nous du roi de France.

CHAPITRE CXVIII.

Comment le comte de Blois envoya deux cens lances au roi de France pour aller en Guerles : de la bonne réponse que les ambaxadeurs rapportèrent du roi d’Allemagne : comment le roi continua son voyage, tirant vers la forêt d’Ardennes, et comment Hélion de Lignac fit son rapport au duc de Berry, touchant le mariage de la fille de Lancastre.


Pour ce voyage entreprendre et achever à leur loyal pouvoir, s’ordonnèrent et appareillèrent en France tous les seigneurs, et s’étoffoient grandement de ce qui leur besognoit. Tous barons, chevaliers, écuyers et gens d’armes se pourvoyoïent et départoient de leurs lieux et des lointaines marches dont ils étoient, tant d’Auvergne, de Rouergue, de Quersin, de Limousin, de Perrigord, de Poitou, de Xaintonge, de Bretagne, de Normandie, d’Anjou, du Maine, de Blois, de Touraine, de Beausse, de Champagne, que de toutes les mettes et limitations du royaume de France. Mais le moins de gens d’armes vinrent des lointaines marches, et le plus de Bourgogne, de Picardie, de Champagne, de France, de Bar et de Lorraine ; et pourtant qu’ils étoient ainsi qu’à mi-chemin, si travailloient le moins leurs corps et les villages du royaume de France ; car il fut ordonné du roi et du conseil, que nul sur le plat pays ne pouvoit ni devoit rien prendre sans payer, afin que les povres gens fussent les moins grevés. Mais, nonobstant celle ordonnance et défense qui fut partout sçue et épandue sur peine de punition très grande, si firent encore sur le chemin les gens d’armes moult de maux, et travaillèrent moult les marches et le pays là où ils passèrent ; ni ils ne s’en savoient abstenir. Aussi, étoient-ils mal délivrés et payés de leurs gages ; si leur convenoit vivre. Celle excusance et raison y mettoient-ils, quand de leur forfaiture ou pillage ils étoient blâmés ou repris de leur capitaine, du connétable ou de leur maréchal. Le comte de Blois fut mandé et escript qu’il envoyât deux cens lances de bonnes gens à l’élite, et ils seroient bien payés et délivrés. Je ne sais, du bien, comment il en alla ; mais il envoya au service du roi deux cens lances, chevaliers et écuyers, de la comté de Blois où pour lors il se tenoit ; et en furent meneurs et capitaines le sire de Vienne, messire Guillaume de Saint-Martin, messire Guillaume de Chaumont et messire Guillaume de Montigny. À ces quatre chevaliers furent délivrés toutes les gens d’armes de la comté de Blois de par le comte ; et se trairent petit à petit devers Champagne, là où ils étoient ordonnés d’aller.

Le roi de France se partit de Montreau-faut-Yonne, et prit le chemin de Châlons en Champagne[1]. Encore n’étoit pas venu le duc de Berry, car il cuidoit bien ouïr nouvelles, avant son département, de messire Hélion de Lignac, qu’il avoit envoyé à Bayonne, devers le duc de Lancastre, pour avoir femme, si comme vous savez et comme il est ci-dessus contenu ; mais non eut, car le duc de Lancastre se dissimuloit devers lui ; et tenoit de paroles le chevalier à Bayonne ; et entendoit à deux parties ; et le plus il s’inclinoit au roi de Castille qu’il ne faisoit au duc de Berry ; et aussi faisoit la duchesse Constance, sa femme : mais il montroit chère et bonne parole à messire Hélion, pour les enflammer, et eux faire hâter au mariage de sa fille.

Les messagers du roi de Castille, lesquels avoient grandement travaillé pour traiter ce mariage, étoient frère Ferrand de Léon, maître en divinité et confesseur du roi, et l’évêque de Ségovie, Dam Piètre Gadelope, et Dam Dighes Lop[2]. Ces quatre menoient la besogne ; et ne

  1. Suivant le moine de Saint-Denis, il arriva à Châlons vers le premier septembre 1388.
  2. Suivant Lopez de Ayala, les messagers envoyés auprès du duc de Lancastre à Bayonne par le roi de Castille étaient : frère Ferrand de Illescas, confesseur du roi, de l’ordre de Saint-François ; un docteur ès lois appelé Pero Sanchez del Castillo et Alvar Martinez de Villareal, tous deux auditeurs royaux. Avant leur départ pour Bayonne, le roi de Castille avait assemblé les cortès générales à Briviesca, afin d’oblenir la levée des sommes réclamées par le duc de Lancastre et de débarrasser lui et le royaume d’un compétiteur et d’un ennemi si dangereux. Lopez de