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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

selon la marine par Bervich et par Dumbar, ou le haut chemin, par la comté de Montres[1] et devers Estrumelin[2]. Il répondit et dit : « Seigneurs, puisqu’il convient que je connoisse vérité, je la dirai. Quand je me départis d’eux de Neuf-Chastel-sur-Thine, il n’étoit encore nul apparent de leur chevauchée ; mais ils sont tout pourvus pour partir du jour à lendemain ; et, sitôt qu’ils sauront que vous chevaucherez et que vous entrerez en Angleterre, ils ne viendront point au devant vous, car ils ne sont pas gens assez pour combattre si grand peuple qu’on dit en Angleterre que vous vous mettez ensemble. » — « Et quel nombre dit-on en Northonbrelande, demanda le comte de Moret, que nous serons ? » — « On dit, sire, répondit l’écuyer, que vous serez bien quarante mille hommes et douze cents lances. Et, pour briser votre fait, si vous prenez le chemin de Galles, ils prendront le chemin de Bervich, pour venir par Dumbar à Haindebourch et Dalquest ; et, si vous prenez ce chemin là, ils prendront le chemin de Cardueil et de Carlion, pour entrer par les montagnes en ce pays. » Quand les seigneurs d’Escosse eurent ce ouï, si cessèrent de parler et regardèrent l’un l’autre. Adonc fut pris l’écuyer anglois, et recommandé au chastelain de Gedeours qu’il le gardât bien et qu’il en rendit bon compte ; et puis parlèrent ensemble ; et eurent conseil et nouvel avis en ce propre lieu de Zédon.

CHAPITRE CXX.

Comment les comtes de Douglas, de Moray et de la Marche et Dunbar passèrent la rivière de Tyne et par la terre au seigneur de Percy jusques à la cité de Durem et puis retournèrent devant Neuf-Chastel-sur-Tyne ardant et exillant tout le pays.


Trop étoient réjouis les compagnons de Zédon et d’Escosse et tenoient celle aventure à belle de ce qu’ils savoient ainsi véritablement le convenant de leurs ennemis ; et regardèrent sur ce comment ils s’en cheviroient. Les plus sages et les mieux usés d’armes parlèrent. Ce furent messire Archebaus de Douglas, et le comte Fy[3], messire Alexandre de Ramsay, messire Jean de Saint-Clair et messire Jacques de Lindesée, et dirent : « Afin que nous ne faillions à notre entente, nous conseillerons pour le meilleur que nous fassions deux chevauchées, par quoi nos adversaires ne sauront auquel entendre ; et la plus grande chevauchée et toute l’ost et notre sommage et chariage s’en voise vers Carlion en Galles[4] ; et l’autre chevauchée de trois cens ou quatre cens lances et deux mille gros varlets et archers et tous bien montés, car il le convient, s’en voisent devers le Neuf-Chastel-sur-Tyne et passent la rivière et entrent en l’évêché de Duram ardant et exillant le pays. Ils feront un grand trau en Angleterre avant que nos ennemis soient pourvus. Et si nous véons et sentons que ils nous poursuivent, ainsi que ils feront, si nous remettons ensemble et nous trouvons en bonne place et nous combattons ; ainsi en avons-nous grand désir ; et faisons tant que nous y ayons honneur, car ces Anglois nous ont un grand temps hérié. Si est heure, puisque nous nous trouvons ensemble, que nous leur remontrons les dommages que ils nous ont faits. »

Ce conseil fut tenu ; et ordonnèrent que messire Arcebaus de Douglas, le comte de Fy, le comte de Surlant, le comte de Montres, le comte de la Mare, le comte d’Astrederne[5], messire Estienne Fresiel, messire George de Dombare, et bien seize grands barons d’Escosse mèneroient toute la plus grande partie de l’ost devers Carlion ; et le comte de Douglas et messire George comte de la Mare et de Dombare et le comte Jean de Mouret, ces trois, seroient capitaines de trois cens lances de bonnes gens à l’élite et de deux mille hommes gros varlets et archers ; et s’en iroient devers le Neuf-Chastel-sur-Tyne et entreroient en Northonbrelande.

Là se départirent ces deux osts les uns des autres et prièrent au département trop affectueusement les seigneurs l’un à l’autre que si les Anglois chevauchoient et les poursuivoient que ils fussent détriés[6] de non combattre, tant que ils fussent tous ensemble ; si en seroient plus forts, et par raison leurs affaires en vaudroient trop grandement mieux. Ainsi l’eurent-ils en convenant l’un l’autre ; et se départirent un matin de la forêt de Gedeours et prirent les champs,

  1. Menteith.
  2. Stirling.
  3. Fife.
  4. Carlisle n’est pas en Galloway, mais en Cumberland.
  5. Straherne.
  6. Qu’ils différassent de combattre.