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LIVRE III.

étoit de la charge et de l’hôtel le comte de Mouret et l’appeloit-on messire Jean Maksuel[1] En prenant et en fiançant, le chevalier Escot demanda à messire Raoul qui il étoit, car il étoit si nuit que point ne le connoissoit ; et messire Raoul était si outré que plus ne pouvoit, et lui couloit le sang tout aval qui l’affoiblissoit. Il dit : « Je suis messire Raoul de Percy. » Adonc dit l’Escot : « Messire Raoul, rescous ou non rescous je vous fiance mon prisonnier. Je suis Maksuel. » — « Bien, dit messire Raoul, je le veuil ; mais entendez à moi, car je suis trop durement navré ; et mes chausses et mes grèves sont jà toutes emplies de sang. »

À ces mots le chevalier escot entend de-lez lui crier : « Mouret au comte ! » et voit le comte et sa bannière droit de-lez lui. Adonc lui dit messire Jean Maksuel : « Monseigneur, tenez ; je vous baille messire Raoul de Percy pour prisonnier ; mais faites entendre à lui, car il est durement navré. » Le comte de Mouret de celle parole fut moult réjoui et dit : « Maksuel, tu as bien gagné tes éperons. » Adonc fit-il ouvrir ses gens, et leur rechargea messire Raoul de Percy, lesquels le bandèrent et étanchèrent ses playes. Et toudis duroit et se tenoit la bataille forte et dure, ni on ne savoit encore les quels en auroient le meilleur ; car je vous dis que il y eut là plusieurs prises et rescousses faites qui toutes ne vinrent pas à connoissance.

Or reprendrai la parole où je la laissai, au jeune comte James de Douglas qui celle nuit là fit grand’foison d’armes. Quand il fut abattu, la presse fut grande à l’environ de lui. Il ne se put relever, car il étoit féru au corps d’une lance à mort. Ses gens le suivoient du plus près que ils pouvoient ; et vinrent sur lui messire Jacques de Lindesée, un sien cousin, et messire Jean et messire Gautier de Saint-Clar, et autres chevaliers et écuyers ; et trouvèrent de-lez lui, un moult gentil chevalier qui toujours l’avoit suivi de près, et un sien chapelain qui n’étoit pas comme prêtre, mais comme vaillant homme d’armes, car toute la nuit, au plus fort de la besogne, il l’avoit poursuivi atout une hache en sa main ; et encore, comme vaillant homme, autour du comte il escarmouchoit, et reboutoit et faisoit reculer Anglois, pour les coups d’une hache dont il ruoit et lançoit roidement sur eux ; et en cel état ils le trouvèrent, dont ils lui sçurent bon gré ; et lui tournèrent, depuis à grand’vaillance ; et en fut, en l’an même, archidiacre et chanoine d’Abredane. Ce prêtre, je le vous nommerai ; on l’appeloit messire Guillaume de Norbervich[2]. Au voir dire il avoit bien corps et taille, et membres et grandeur ; et hardement aussi pour tout ce faire, et toutefois il fut là navré moult durement.

Quand ces chevaliers furent venus de-lez le comte, ils le trouvèrent en bien petit point, et aussi un sien chevalier que je vous dis, qui toute la nuit l’avoit suivi, messire Robert Hert, lequel avoit cinq plaies, que de lances que de autres armures, et gisoit de-lez le comte. Messire Jean de Saint-Clar demanda au comte : « Cousin, comment vous va ? » — « Petitement, dit le comte, loué en soit Dieu ! On a de mes ancesteurs peu trouvé qui soient morts en chambre ni sus lit. Je vous dis, pensez de moi venger, car je me compte pour mort ; le cœur me défaut trop souvent. Gautier, et vous Jean de Saint-Clar, redressez ma bannière ; » (car voirement étoit elle à terre, et mort un écuyer vaillant homme qui la portoit, David Colleime[3] ; et ne voulsit être chevalier celle journée, car le comte le vouloit faire, pour tant que en toutes places il avoit été le outre passé des bons écuyers) ; « et criez Douglas ! et ne dites à ami ni à ennemi que nous ayons, que je sois au parti où je suis. Car nos ennemis, si ils le savoient, s’en reconforteroient, et nos amis s’en déconfiroient. »

Les deux frères de Saint-Clar et messire Jacques de Lindesée firent ce que il ordonna ; et fut la bannière relevée ; et écrièrent : « Douglas ! » et pour ce que ils étoient si avant, leurs gens qui étoient derrière et qui ouïrent crier moult haut : « Douglas ! Douglas ! » pour venir celle part se mirent en un mont tous ensemble ; et commencèrent, ceux qui lances avoient, à bouter et à pousser de telle vertu que ils reculèrent très vaillamment de celle empainte les Anglois ; et en y eut de renversés beaucoup et portés à terre. Les Escots qui suivoient les premiers qui faisoient voye, se portèrent si vaillamment en combattant, en poussant et en lançant, que ils

  1. Sir John Maxwell.
  2. William de North-Berwick.
  3. Peut-être David Campbell.