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LIVRE III.

leurs menestrels et mener le plus grand revel du monde. Et vous dis que Escots ont un usage que, quand ils sont ainsi ensemble, les hommes de pied sont tous parés de porter à leurs cols un grand cor de corne à manière d’un veneur, et quand ils sonnent tous d’une fois et montent l’un grand, l’autre gros, le tiers sur le moyen et les autres sur le délié, ils font si grand’noise, avec grands tabours qu’ils ont aussi, que on l’ouït bien bondir largement de quatre lieues angloises par jour, et six de nuit ; et est un grand ébaudissement entre eux et un grand effroi et ébahissement entre leurs ennemis. De ce métier commandèrent et ordonnèrent les seigneurs à jouer ; et avec tout ce ils se mirent en ordonnance bien arréée et forte, et ordonnèrent tous leurs archers et leurs varlets sur un certain pas à l’entrée de leur logis, et montrèrent grand défense.

Quand l’évêque de Durem et sa bataille, où bien avoit dix mille hommes, que uns que autres, gens du petit et de recueillette (guère de gentils hommes avoit, car le seigneur de Percy les avoit eus en devant), furent ainsi que à une grande lieue près d’Otebourch, les Escots commencèrent à bondir leurs cornets et à bruir sur leurs tabours, de telle manière que il sembloit bien proprement que les diables d’enfer fussent entre eux et là descendus pour faire noise ; et tant que ceux qui venoient et qui de leur usage rien ne savoient en furent tout ébahis. Et dura celle tempête et ce bondissement de leurs cornets moult longuement, et puis cessa ; et après ce, un espace espoir que les Anglois étoient à une lieue près, ils recommencèrent comme en devant à corner bien aussi longuement et aussi haut comme ils avoient en devant fait, et puis cessèrent. Or approcha l’évêque et sa bataille toute rangée, et vint en la vue des Escots d’aussi près que le trait de deux arcs. À celle heure que les Anglois approchoient, cornèrent les ménestrels des seigneurs d’Escosse moult haut et moult clairs ; et puis cessèrent, et le grand bondissement de ces cornets se renouvela, qui dura une moult longue pièce. L’évêque de Durem se tenoit là devant eux et en regardoit la manière, et comment ils étoient fortifiés et ordonnés de bonne façon, et unis en tel parti et état que grandement à leur avantage. Si se conseilla à aucuns chevaliers qui là étoient quel chose ils feroient. Il me semble, tout considéré et avisé, ils n’eurent point propos d’entrer en eux ni de eux assaillir, mais s’en retournèrent sans rien faire ; car ils véoient bien que ils pouvoient plus perdre que gagner.

Quand les Escots virent que les Anglois étoient tous retraits et que point n’étoit d’apparent que ils eussent la bataille, ils se retrairent en leurs logis, et mangèrent et burent un coup, et puis s’ordonnèrent de départir. Et pour ce que messire Raoul de Percy étoit durement navré, il pria à son maître que il lui fesist grâce de retourner au Neuf-Chastel ou là où mieux lui plairoit, en Northonbrelande, à être là et demeurer tant que il seroit guéri ; et sitôt que il seroit en point de chevaucher, il s’obligeoit sus sa foi de retourner en Escosse fût à Haidebourch ou ailleurs. Le comte de La Marche dessous qu’il avoit été pris, lui accorda légèrement, et lui fit appareiller une litière et le délivra par la cause dessus dite[1]. Plusieurs chevaliers et écuyers qui prisonniers étoient, furent là recrus ou mis à finance ; et prenoient terme du retourner ou du payer où l’assignation étoit faite. Il me fut dit, par la partie des Escots qui furent à la bataille qui fut entre le Neuf-Chastel et Otebourch en l’an de grâce mille trois cent quatre vingt et huit, le dix-neuvième jour du mois d’août, que furent pris de la partie des Anglois mille hommes et quarante, que uns que autres, et morts, que sur la place, que en la chasse, dix huit cent et soixante, et plus de mille navrés et blessés ; et des Escots, il y en eut de morts environ cent, et pris deux cens en la chasse, ainsi que les Anglois qui fuyoient se recueilloient ; et quand ils véoient leur plus bel ils retournoient et se combattoient à ceux qui les suivoient. Par telle manière furent-ils pris en chasse et non autrement. Or regardez si ce fut une merveilleuse et dure besogne et bien combattue, quand tant en y avoit de morts et pris de l’un lez et de l’autre, mais l’une l’eut pire que l’autre.

  1. Robert III accorda à Henri Preston, pour la rançon de Ralph Percy, la terre et la seigneurie de Feoudie, dans le comté d’Aberdeen, la ville et le château de Fyvie, la ville de Meikle Gaddies et la terre de Parkhill.