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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

accordèrent. Gourdinois se partit, lui et son page, et chevaucha tout côtoyant le bois. Quand il eut un petit chevauché, il ouït bûcher au bois : si férit cheval des éperons et vint celle part, droit à la sente du bois. Quand il fut là venu, il trouva un Allemand Guerlois, qui charpentoit bois. Gourdinois prit son glaive et vint sur cel homme. L’homme fut tout ébahi et fit signe qu’il se rendoit à lui. Gourdinois le prit à mercy et lui fit signe aussi qu’il s’en venist avecques lui ; et pensa Gourdinois, et dit en lui-même : « Au moins montrerai-je à mes compagnons que j’aurai fait aucune chose quand j’aurai pris cel homme. Il nous fera quelque service en nos logis ! » Donc se mit-il au chemin et au retour vers ses compagnons. Gourdinois chevauchoit devant, une basse haquenée. L’Allemand le suivoit tout de pied, une grande cognée sur son épaule dont il avoit ouvré au bois. Le page de Gourdinois, monté sur son coursier, les suivoit, et portoit le bassinet de son maître, et traînoit sa lance, et s’en venoit tout sommeillant, pour la cause de ce qu’il étoit levé trop matin. L’Allemand, qui ne savoit là où il alloit ni quelle chose on vouloit faire de lui, s’avisa qu’il se délivreroit bien ; et vint tout bellement de-lez Gourdinois, et en tirant sa cognée, et le fiert sur la tête par derrière, et le pourfend jusques aux dents, et l’abat tout mort. Oncques le page n’en vit rien ni ne le sçut, qu’il ne le vît avant cheoir. Le vilain s’enfuit et tantôt se muça au bois, car il n’en étoit pas trop loin. Celle aventure advint à Gourdinois, dont tous ceux qui le connoissoient en furent moult courroucés, et par espécial tout le pays d’Auvergne, quand ils en furent informés, car c’étoit l’homme d’armes, lequel les Anglois doutoient le plus, et qui plus de dommage leur avoit fait et porté ; et pour vingt mille francs il ne fût point demeuré en prison, qu’on ne l’eût racheté. Or retournons au duc de Juliers.

CHAPITRE CXXVIII.

Comment le duc de Juliers et l’archevêque de Coulogne se partirent du roi de France, et s’en allèrent à Nimaige, devers le duc de Guerles : et comment, par l’amonnestement et entremise d’iceux, il fut réconcilié et mis à paix vers le roi et la duchesse de Brabant.


Vous savez, si comme il est ci-dessus contenu, que le duc de Juliers fit sa paix au roi de France, parmi les traités et moyens des prélats qui s’en ensoignèrent, et du duc de Lorraine, au voir dire, son cousin qui y rendit grand’peine, et qui l’alla querre à Nideke, et l’amena, avecques l’archevêque de Coulogne, parler au roi et à ses oncles ; et si savez aussi comment il promit à aller devers son fils le duc de Guerles, et de le faire venir à merci ou à raison, ou, conjointement avecques le roi, il lui feroit guerre. Et faire lui convenoit ce marché, car autrement tout son pays eût été bellement perdu. Le duc de Juliers s’ordonna et appareilla, l’archevêque de Coulogne en sa compagnie ; et s’en allèrent en Guerles ; et passèrent les rivières, unes et autres, et vinrent à Nimaige où le duc se tenoit, qui les reçut moult liement et grandement, ainsi que bien le sçut faire ; et faire le devoit aussi, car rien n’est plus prochain que père et mère. Et jà étoit informé que le duc de Juliers son père étoit accordé et composé au roi de France, dont il n’en étoit pas plus lie ; mais mal-talent ne lui en osoit montrer.

Le duc de Juliers et l’archevêque de Coulogne lui remontrèrent tout au long de la matière le péril et en quel parti toute sa terre étoit. Du commencement, il n’en fit compte, car il s’étoit si fort conjoint et allié au roi d’Angleterre, qu’il ne s’en pouvoit partir, ni ne vouloit aussi, car son cœur étoit tout anglois. Si s’excusa trop fort, et dit bien qu’il vouloit attendre l’aventure ; et que, si par la venue du roi de France il avoit un grand dommage, il étoit jeune, si pouvoit bien porter et amender, au temps à venir, sur le royaume de France, ou sur ses conjoints les Brabançons ; et dit que nul sire ne peut guerroyer sans dommage ; une fois perd, et l’autre gagne.

Quand le duc de Juliers l’ouit ainsi excuser et langager, si fut tout courroucé, et lui demanda : « Guillaume, de quoi ferez-vous votre guerre ? Et qui sont ceux qui amenderont vos dommages ? » Il répondit : « Le roi d’Angleterre et sa puissance. Et encore suis-je émerveillé de ce que de pieçà je n’ai nulles nouvelles de l’armée de la mer ; car s’ils fussent venus, ainsi que promis on me l’avoit, j’eusse ores une fois ou deux, réveillé les François. » — « Guillaume, attendez-vous cela ? dit le duc de Juliers. Les Anglois sont si ensonniés de tous lez qu’ils ne savent auquel entendre. Vecy le duc de Lan-