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LIVRE III.

et au congé prendre, ils montrèrent par semblant qu’ils se contentoient assez l’un de l’autre, Adoncques fut ordonné du déloger et du retraire, et de chacun retourner au pays dont il étoit issu. Et me fut dit que le roi de France seroit le jour de la Toussaint en la cité de Rheims ; et là tiendroit sa fête. Adonc se délogèrent toutes gens et mirent au retour. Or vous dirai, un petit, de l’armée de mer d’Angleterre.

CHAPITRE CXXIX.

Comment le comte d’Arondel et les chevaliers d’Angleterre qui se tenoient sur mer, par force de vent vinrent à la Palice, près de la Rochelle : comment messire Louis de Sancerre, en étant averti par les Rochellois, les poursuivit pour néant par mer ; et comment le duc de Lancastre conclut le mariage de sa fille avec l’infant de Castille.


En ce temps que le roi de France étoit en Guerles, et en devant aussi, et depuis, se tenoit sur mer l’armée du roi d’Angleterre ; de laquelle le comte d’Arondel en étoit souverain capitaine ; et vaucroient et alloient une fois amont, l’autre aval, ainsi que le vent le demenoit, et toujours par usage et coutume pour trouver quelque aventure. Or devez-vous savoir, si vous ne le savez, que sur le point la Saint-Remy et la Toussaint il fait volontiers des forts vents et périlleux sur la mer. Encore en fit-il adonc un très grand qui se bouta entre la navie d’Angleterre, et tellement qu’il les espardit durement, et éloigna l’un de l’autre ; et n’y avoit si hardi marinier qui ne fût tout ébahi, pour le grand vent qu’il faisoit ; et tant, qu’il convint par force de grand vent, ou pis avoir, prendre terre et port le comte d’Arondel, lui vingt-septième de vaisseaux, à deux petites lieues de la Rochelle, en un hâvre, qu’on dit la Palice. Et ancrèrent et s’arrêtèrent là, voulsissent ou non ; et avoient le vent de mer si fort sur eux, qu’ils ne s’en pouvoient partir. Quand les nouvelles en furent venues à la Rochelle, si se doutèrent de premier les Rochellois, que les Anglois ne vinssent là pour eux porter dommage ; et cloïrent leurs portes, et se tinrent là en dedans tous enserrés sans partir ; et furent ainsi bien jour et demi. Or revinrent autres nouvelles aux Rochellois, de ceux de la Palice, que les Anglois n’étoient que vingt-sept vaisseaux, et que grand vent et fortune de mer les avoit là boutés ; et ne tiroient fors qu’au partir ; et toutes fois le comte d’Arondel, messire Henry de Beaumont, messire Guillaume Helmen, et plus de trente chevaliers d’Angleterre, étoient là. Si se conseillèrent entre eux les Rochellois quelle chose ils feroient. Tout considéré, ils dirent qu’ils ne s’acquitteroient pas bien, s’ils ne les alloient escarmoucher.

En ce temps séoit, devant le chastel de Bouteville, messire Louis de Sancerre, maréchal de France ; et avoit là enclos Guillonnet de Sainte-Foix, Gascon, atout grand’chevalerie de Poitou, de Xaintonge, de Périgord, de la Rochelle, et des basses marches, car tous n’étoient point allés en Allemagne avec le roi de France, et messire Louis étoit regard et souverain capitaine de toutes les frontières, mouvantes de Montpellier jusques à la Rochelle, tant que le sire de Coucy qui en gouvernoit une partie fût retourné du voyage d’Allemagne, Si s’avisèrent les Rochellois, qu’ils signifieroient tout à messire Louis, ainsi qu’ils le firent. Si tôt comme il sçut les nouvelles il en fut moult réjoui ; et manda à ceux de la Rochelle qu’ils armassent six ou huit gallées et missent hors de leur hâvre, car il viendroit combattre les Anglois. Ils le firent. Messire Louis se départit de son siége et le rompit pour celle besogne, car avis lui étoit que, de combattre le comte d’Arondel et les chevaliers d’Angleterre qui là étoient à l’ancre, plus honorable et plus profitable lui étoit que de tenir le siége ; car toujours y pouvoit-il bien recouvrer. Si s’en vint à la Rochelle ; et toutes manières de gens, chevaliers et écuyers, le suivoient.

Je ne sais par quelle inspiration ce fut ; mais le comte d’Arondel à la Palice fut informé que le maréchal de France, à toute sa puissance de chevaliers et écuyers, le venoit combattre. Ces nouvelles ne furent pas trop plaisantes au comte d’Arondel. D’aventure le vent étoit assez avalé, et les ondes de mer abaissées. Le comte fit tantôt désancrer ses nefs ; et prit la mer si à point, que, s’il eût encore attendu deux heures, il eût été enclos au hâvre et là pris, et toute sa navie ; ni jà n’en fût échappé pié.

Sur ce point véez-ci venir les galiées de la Rochelle qui vinrent sur la mer, armées, appareillées, et pourvues de canons et d’artillerie ; et venoient qui mieux mieux tout droit à la Palice. Si trouvèrent que les Anglois étoient désancrés et s’en alloient. Si les poursuivirent, ainsi que deux lieues en mer ; et les convoyèrent de canons. Toutefois il ne les osèrent longuement