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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

mieux pareille à lui que elle ne soit à vous. » — « Monseigneur, répondit le duc de Berry, on en a parlé, mais le comte de Foix, à qui il tient, n’y veut entendre ; et crois que c’étoit que mon fils vient d’Armignac, et ils ne sont pas en trop bon amour ensemble. Si la fille de Boulogne est jeune, je l’épargnerai trois ou quatre ans, tant que elle sera femme et parcrue. » — « Voire, dit le roi, mais elle ne vous épargnera pas. » Et puis dit, tout en riant : « Bel oncle, puis que nous voyons que vous avez si bonne affection à ce mariage, nous y entendrons volontiers, c’est raison. »

Depuis, ne demeura long terme, que le roi et le duc de Bourgogne ordonnèrent pour aller au pays de Berne, par devers le comte de Foix, tels seigneurs que je vous nommerai. Premièrement le comte de Sancerre, messire Guillaume de la Trémouille, le seigneur de la Rivière, et le vicomte d’Assy ; et encore y fut ordonné, pour aller au dit royaume, l’évêque d’Autun ; mais cil ne devoit point passer outre Toulouse avec les autres jusques à tant qu’il sauroit comment les traiteurs se porteroient entre le comte de Foix et les ambaxadeurs de France.

Les seigneurs dessus nommés se départirent du duc et du roi de France et des deux ducs, quand toutes leurs besognes furent ordonnées ; et se mirent au chemin, et exploitèrent tant qu’ils vinrent en Avignon, et furent là un long terme de-lez le pape Clément, qui leur fit très bonne chère et féale, pour l’amour du roi. Quand ils eurent séjourné en Avignon, et que leurs messagers qu’ils avoient envoyés en Berne, devers le comte de Foix, furent retournés, et eurent rapporté lettres, lesquelles parloient ainsi ; que il plaisoit bien au comte que les dessus dits se traïssent avant, ils se départirent du pape et d’Avignon, environ la Chandeleur, et prirent le chemin de Montpellier ; et chevauchoient à petites journées et à grands dépens ; et passèrent Nîmes, Montpellier et la cité de Bézers ; et vinrent à Carcassone ; et trouvèrent là monseigneur Louis de Sancerre, maréchal de France, qui les recueillit liement et doucement, et ce fut raison. Lequel messire Louis parla à part assez aux dits ambaxadeurs de France, du comte de Foix et de son état, car il avoit été en Berne devers lui en celle saison. Quand ils eurent été de-lez le maréchal quatre jours, ils prirent congé et se mirent au chemin, et passèrent à Ville-Franche et au Chastel-Neuf d’Auri, à Avignolet et à Mont-Giscart, et puis vinrent à Toulouse. Et se logèrent là, et eurent conseil comment ils se maintiendroient. Le comte de Foix savoit bien leur venue, car tous les jours il en avoit ouï nouvelles, pourtant que en venant de Carcasonne à Toulouse, ils avoient côtoyé en son pays de Foix ; et se tenoit le dit comte en la ville d’Ortais en Berne.

Quand ces seigneurs de France furent venus à Toulouse, et ils y furent rafreschis, ils eurent conseil que ils enverroient, comme ils firent, devers le comte de Foix, pour entamer les traités de ce mariage, en quelle instance ils étoient là avalés. Si s’entamèrent les traités de ce mariage, mais ils furent moult lointains, car de commencement le comte de Foix fut moult froid, pourtant que le duc de Lancastre, qui se tenoit pour ce temps à Bordeaux ou à Lisbourne, en faisoit parler et prier pour son fils Henry, comte de Derby. Si fut tel fois, pour le lointain séjour que on véoit, que on disoit que le mariage pour le quel ces seigneurs se arrêtoient à Toulouse ne se feroit point, et tout leur état et les ordonnances, responses et traités du comte de Foix, de jour en jour, et de sepmaine en sepmaine, ils envoyèrent soigneusement devers le duc de Berry qui se tenoit à la Nonnette en Auvergne, et le duc de Berry, qui n’avoit autre désir, fors que les choses approchassent, rescripsoit devers eux, et les rafreschissoit souvent de nouveaux messages, et eux signifiant que noblement ils cessassent point que la besogne ne se fesist. Le comte de Foix, qui étoit sage et soubtil, et qui véoit l’ardent désir du duc de Berry, traitoit vaguement et froidement ; si fit à ceux qui envoyés lui étoient très bonne chère ; et ne répondit autrement, fors que par lettres. Et il me fut dit et signifié que de premier, avant que les traités s’entamassent, il se fit très grandement prier et dangérer ; et plus en étoit quoitié, plus s’en refroidoit ; nequedent, il ne vouloit pas que le mariage ne se fît, mais il tendoit à avoir une bonne somme de florins ; non que il mît avant qu’il voulsist vendre la dame, mais il vouloit être récompensé de la garde, car environ neuf ans et demi il l’avoit eue et nourrie ; si en demandoit trente mille francs. Encore si plus en eût demandé, plus en eût eu. Mais moyennement il