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LIVRE II.

fément, et lui fit le duc de Bourgogne très bonne chère ; et là furent parfaites toutes les obligations et ordonnances de la paix, et les scellèrent le duc de Bourgogne et le comte de Flandre. Et puis retourna Jean Pruniaux à Gand et montra ce qu’il avoit exploité. Et tant avoit prié le duc de Bourgogne et remontré de douces paroles à ceux de Gand, que Audenarde demeuroit entière ; car au traité de la paix et au lever le siége, les Gantois, s’ils eussent pu, vouloient au lez devers eux abattre deux portes, les tours et les murs, afin qu’elle leur fût à toute heure ouverte et appareillée. Quand le comte de Flandre ot été une espace à Lille, et le duc de Bourgogne s’en fut rallé en France, il s’en vint à Bruges et là se tint et remontra couvertement, sans autre punition, grand mautalent à aucuns bourgeois de Bruges de ce que sitôt l’avoient relinqui et s’étoient mis au service de ceux de Gand. Ces bourgeois s’excusèrent et dirent, et vérité étoit, que ce n’avoit pas été leur coulpe, mais la coulpe des menus métiers de Bruges qui se vouloient prendre et mêler à ceux de Gand quand Jean Lyon vint devant Bruges. Le comte passa son mautalent au plus bel qu’il pot ; mais pour ce n’en pensa-t-il mie moins.

Nous nous souffrirons à parler de lui et de ceux de Flandre, et retournerons aux besognes de Bretagne.


CHAPITRE LIX.


Comment le duc de Bretagne retourna en son pays. De la mort de l’empereur de Rome. Comment on envoya en Allemagne pour mariage au roi d’Angleterre, et comment le duc de Bretagne faillit au secours d’Angleterre.


Vous savez comment le duc de Bretagne étoit en Angleterre de-lez le roi Richard et ses oncles qui lui faisoient bonne chère ; et son pays étoit en trouble et en guerre ; car le roi de France y avoit envoyé son connétable à grands gens d’armes qui se tenoient à Pontorson et vers le mont Saint-Michel et guerroyoient le pays. Les cités et les bonnes villes de Bretagne se tenoient toutes closes et désiroient moult que leur seigneur le duc retournât au pays ; et jà l’avoient mandé par lettres et messages, mais il ne s’y osoit bonnement fier ni assurer ; et tant que les prélats et les bonnes villes en murmuroient et disoient : « Nous mandons par lettres toutes les semaines le duc et point ne vient, mais s’excuse. » — « En nom Dieu ! disoient les aucuns, il y a bien cause, car nous le mandons trop simplement. Bien appartient que nous y envoiassions un ou deux chevaliers de créance ès quels il se pût fier, et qui lui remontrassent pleinement l’état du pays. » Ce propos fut mis avant et les consaulx tenus : si en furent priés daller en Angleterre deux moult vaillans chevaliers, messire Geoffroi de Kaermel et messire Eustasse de la Houssoye, à la prière et requête des barons, des prélats et des bonnes villes de Bretagne. Ces deux chevaliers s’appareillèrent pour aller en Angleterre, et entrèrent en un vaissel à Conkest, et orent vent à volonté et singlèrent tant qu’ils vinrent à Hantonne, et là prirent-ils terre. Si issirent de leurs vaisseaux et chevauchèrent tant qu’ils vinrent à Londres. La trouvèrent-ils le duc de Bretagne et la duchesse, et messire Robert Canolle, qui les reçurent à grand’joie. Les chevaliers recordèrent au duc tout l’état de son pays et comment on le désiroit à ravoir, et montrèrent lettres de créance des barons, des prélats et des bonnes villes. Le duc crut moult bien les chevaliers et les lettres aussi et en eut grand’joie, et dit qu’il en parleroit au roi et à ses oncles, ainsi qu’il fit. Quand le roi d’Angleterre et ses oncles en furent informés, comment le pays de Bretagne, excepté Claiquin, Cliçon, Rohan, Laval et Rochefort mandoient leur seigneur, si lui dirent : « Vous vous en irez par delà puisque on vous mande, et vous racointerez de vos gens et de votre pays ; et tantôt nous vous envoierons gens et confort assez pour tenir et garder les frontières contre tous vos ennemis ; et nous laisserez votre femme la duchesse[1] par deçà avec sa mère et ses frères, et vous entendrez par delà à guerroyer. » De ces nouvelles et paroles fut le duc tout réjoui et s’ordonna sur ce.

Ne demeura puis guère de temps que le duc de Bretagne ordonna ses besognes à Hantonne, et prit congé au roi et à ses oncles et à madame la princesse et à sa femme, et ordonna à son département et scella grands alliances[2] au roi

  1. La duchesse de Bretagne, seconde femme de Jean V, duc de Bretagne, était Jeanne Holland, fille de Thomas Holland et comtesse de Kent. Elle avait été mariée en 1366, et mourut en 1384.
  2. Voy. dans Rymer la procuration pour traiter avec la duchesse de Bretagne, datée du 9 juillet 1379. Le traité du 13 juillet est rapporté dans les Preuves de l’histoire de Bretagne, t. II, p. 218 et suivantes.