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CHRONIQUES DE J. FROISSART.


CHAPITRE LXII.


Comment il appert que les Gantois étoient cause d’icelle guerre. Comment Audenarde fut rendue au comte, et comment messire Olivier d’Auterme et autres furent bannis de Flandre, et Jean Pruniaux aussi.


On se peut bien émerveiller, qui oit parler et traiter de celle matière, des propos étrangers et merveilleux que on y trouve et voit, qui tous les lit et bien les entend. Les aucuns en donnent le droit de la guerre, qui fut en ce temps si grande et si cruelle en Flandre, à ceux de Gand, et dient qu’ils eurent juste cause de guerroyer ; mais il me semble que jusques ici non eurent, ni je ne puis apercevoir ni entendre que le comte n’eût toujours plus aimé la paix que la guerre, réservé la hauteur de lui et son honneur. Ne leur renvoya-t-il mie le bourgeois de Gand qui étoit en sa prison à Erclo ? Si m’aist Dieu ! si fit, et ils lui occirent son bailli. Encore de rechef il leur pardonna cel outrage pour eux tenir en paix, et sur ce ils émurent un jour toute Flandre sur lui, et occirent en la ville d’Ypre, voir ceux d’Ypre, mêmement cinq de ses chevaliers ; et vinrent assaillir Audenarde et assiéger, et se mirent en peine de l’avoir et détruire ; et encore en vinrent-ils à chef et à paix ; et ne vouloient amender la mort de Roger d’Auterme, dont ses lignages l’avoient plusieurs fois remontré au comte de Flandre ; et si ils ont contrevengé la mort de leur cousin sur aucuns navieurs, par lesquels premièrement toutes ces haines étoient émues et élevées, convenoit-il pour ce que la ville d’Audenarde en fût abattue ? Il m’est avis, et si fait-il à plusieurs, que nennil. Encore avoit le comte assez à souldre à ceux de Gand, ce disoient-ils ; et vouloient qu’il leur fût amendé ce que on avoit fait aux navieurs, ainçois qu’ils rendissent Audenarde.

Le comte qui se tenoit à Lille et son conseil de-lez lui, étoit courroucé de ce que les Gantois tenoient Audenarde, et ne le savoit comment r’avoir ; et se repentoit trop fort, quelque paix qu’il eût jurée ni donnée aux Gantois, qu’il ne l’avoit toudis fait garder. Si escripsit souvent à ceux de Gand ; et leur mandoit que on la lui rendit, ou il leur feroit guerre si cruelle que à toujours ils s’en sentiroient. Ceux de Gand nullement ne vouloient avouer ce fait[1], car ils eussent la paix brisée. Finablement, aucunes bonnes gens de Gand et riches hommes, qui ne vouloient que bien et paix, allèrent tant au devant de ces besognes, tels que Jean de la Faucille, sire Gisebrest de Gruthe, sire Symon Bette et plusieurs autres, que, le douzième jour de mars, ceux qui étoient en la ville d’Audenarde s’en partirent ; et fut rendue aux gens du comte, parmi ce que, pour apaiser le comte, Jean Pruniaux étoit banni de Gand et de Flandre. Pour ce, étoit-il devisé en son bannissement, qu’il étoit allé prendre Audenarde sans le sçu de ceux de Gand ; et étoient bannis de la comté de Flandre, à toujours et sans rappel, messire Philippe de Mamines, messire Olivier d’Auterme, le Gallois de Weldure, le Bâtard de Windingues et tous ceux qui avoient été à découper les navieurs bourgeois de Gand ; et parmi ces bannissemens s’appaisoient l’une partie et l’autre. Si vidèrent tous Flandre, et vinrent, c’est à savoir : Pruniaux, demeurer à Ath en Brabant, qui siéd en la comté de Hainaut ; messire Philippe de Mamines vint à Valenciennes. Mais quand ceux de Gand le sçurent, ils exploitèrent tant devers le prévôt et jurés de Valenciennes qu’ils en firent partir le chevalier. Et étoit pour ce temps prévôt Jean Patris, qui bellement et doucement en fit partir le chevalier et issir de la ville de son bon gré ; et s’en vint demeurer à Warlain de-lez Douay ; et là se tint tant que il eut autres nouvelles. Et les autres chevaliers et écuyers vidèrent Flandre et allèrent en Brabant ou ailleurs, tant aussi qu’ils ouïrent autres nouvelles.


CHAPITRE LXIII.


Comment Jean Pruniaux fut décollé à Lille. Comment les Gantois ardirent autour de Gand : comment ils sommèrent aucuns chevaliers de service, et comment ils cuidèrent assiéger Lille.


Sitôt que le comte de Flandre fut revenu en la possession d’Audenarde, il manda ouvriers à force, et la fit réparer de portes, de tours et murs plus fort que devant et relever tous les fossés. Tout ce savoient bien les Gantois que le comte y faisoit ouvrer ; mais nul semblant n’en faisoient, car ils ne vouloient point être repris de enfreindre la paix. Et disoient les fols et les outrageux : « Laissons-les ouvrer ; si Audenarde étoit ores d’acier, si ne pourroit-elle durer contre nous quand nous voudrons. » Et quoiqu’il y

  1. D’avoir eu part à la surprise d’Oudenarde.