Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/152

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
146
[1391]
CHRONIQUES DE J. FROISSART.

comté d’Armignac, la comté de Comminge et la comté de Rodez du roi, et lui en fit hommage, aux us et aux coutumes que les seigneurs sujets du roi de France relèvent leurs fiefs. Et de ce que il devint homme du roi, on en leva lettres tabellionnées, grossoyées et scellées, et puis prit congé. Aussi fit le comte Dauphin. Et retournèrent ensemble à Paris, et de là en leurs pays d’Auvergne et de Languedoc.

Environ l’Ascension, retourna le roi de France à Paris en bon point et en bon état, et se logea en son hôtel de Saint-Pol, lequel on avoit tout ordonné pour lui ; et jà y étoient la roine de France et la duchesse de Touraine venues.

Or conterons de messire Jean de Châtel-Morant et de messire Taupin de Cantemerle, qui attendoient la réponse du roi d’Angleterre et des Anglois. Ils furent à la fête de Saint-George à Windsore, où le roi d’Angleterre, ses oncles et ses frères, et grand nombre de seigneurs d’Angleterre, furent. Si parlèrent ensemble ces seigneurs, sur l’état de ce que ils avoient enconvenancé et promis à faire, et tenir au roi de France et à ses oncles, quand ils se départirent du parlement d’Amiens, et pour délivrer aussi les deux chevaliers de France qui étoient là, et qui les poursuivoient pour avoir réponse. Conseillé fut entre eux, et répondirent ainsi aux chevaliers françois : « Vous, Châtel-Morant, et vous, Cantemerle, sachez, considérées toutes choses, vous ne pouvez avoir autre réponse ni délivrance maintenant, car trop fort seroit à assembler pour le présent les consaulx sur les trois états du royaume d’Angleterre, jusques à la Saint-Michel, que tous viennent par ordonnance aux parlemens et aux plaids à Westmoutier ; et de ce pour nous acquitter et vous tenir excusés, nous en escriprons par delà ; et si adonc vous, ou aucun de la partie de France, vous voulez, ou veulent tant travailler que vous retournez ici, on en fera réponse due et raisonnable, telle que généralement le conseil des trois états du royaume d’Angleterre répondra. »

Quand les deux chevaliers virent que ils étoient répondus, et autre chose n’en auroient, si répondirent : « De par Dieu, nous nous contenterons assez de tout ce que vous dites. Faites, écripsez et scellez, et puis nous nous mettrons au retour. »

Il fut fait. Lettres furent escriptes et scellées. On leur bailla ; et eurent congé du roi et des seigneurs, et puis se mirent au retour et vinrent à Londres, et s’ordonnèrent pour partir. Le roi d’Angleterre les fit par tout délivrer de tous coûtages et conduire à Douvres ; et leur fit le bailli de Douvres avoir un vaissel passager pour eux, leurs gens et leurs chevaux ; mais ils séjournèrent là cinq jours en deffaute de vent. Au cinquième ils équipèrent et eurent vent à volonté, et vinrent prendre terre à Boulogne. Là issirent-ils hors du passager, et quand la mer fut retraite on mit hors les chevaux. Depuis ils se départirent de Boulogne et prirent le chemin d’Amiens ; et chevauchèrent à petites journées, et firent tant que ils vinrent à Paris. Si trouvèrent là le roi et les seigneurs, car ce fut par les fêtes d’une Pentecôte. Ils montrèrent leurs lettres. On les lisit ; on vit l’ordonnance des Anglois. Il m’est avis que le roi et les seigneurs n’en firent pas trop grand compte, car dedans briefs jours ils eurent moult grandement ailleurs à entendre.

CHAPITRE XXVIII.

Comment messire Pierre de Craon, par haine et mauvais aguet, battit messire Olivier de Cliçon, dont le roi et ses consaulx furent moult courroucés.


Vous avez bien ici-dessus ouï parler et proposer comment messire Pierre de Craon, lequel étoit un chevalier en France de grand lignage et affaire, fut éloigné de l’amour et grâce du roi de France et du duc de Touraine, son frère, et par quelle achoison. Si cause y avoit d’avoir courroucé si avant le roi et son frère, ce fut mal fait. Et si avez bien ouï recorder comment il étoit venu en Bretagne de-lez le duc, et lui avoit dit et conté toutes ses meschéances ; le duc y avoit entendu par cause de lignage et de pitié, et lui avoit ainsi dit que Olivier de Cliçon lui avoit tout promu et brassé ce contraire.

Or peuvent aucuns supposer que de ce il l’avoit informé et enflammé, pour tant que sur le dit connétable il avoit très grand’haine et ne le savoit comment honnir ni détruire ; et messire Pierre de Craon étant de-lez le duc de Bretagne, souvent ils parloient ensemble et devisoient de messire Olivier de Cliçon, comment ni par quelle manière ils le mettroient à mort ; car bien disoient que s’il étoit occis par quelque voie que ce fût, nul n’en feroit guerre ni contrevengeance. Et trop se repentoit le duc de