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LIVRE IV.

Nantouillet, l’Ardenois de Doustenène, et plusieurs autres ; et joutèrent là bien par l’espace de deux heures devant le roi et les dames. Et quand ils se furent assez esbanoiés ils s’en retournèrent à leurs hôtels.

Ce vendredi, prirent congé au roi et à la roine les dames et damoiselles qui retourner vouloient en leurs lieux, et aussi les seigneurs qui partir vouloient. Le roi de France et la roine, au congé prendre, remercièrent grandement tous ceux et celles qui à eux parloient et qui à la fête venus et venues étoient.

CHAPITRE II.

Comment le seigneur de Châteaumorant, lequel le comte de Saint-Pol avoit laissé en Angleterre, retourna en France de-lez le roi et son conseil et montra la chartre de la trève qui étoit accordée et scellée du roi Richard et de ses oncles, laquelle devoit durer trois ans par terre et par mer.


Après celle grand’fête de laquelle je vous ai parlé, et que tous seigneurs et dames qui été y avoient furent retournés en bonne paix et amour en leurs lieux, le sire de Châteaumorant, que le comte de Saint-Pol avoit laissé en Angleterre, retourna arrière en France devers le roi et son conseil, et montra la chartre de la trève donnée, accordée et scellée du roi Richard d’Angleterre et de ses oncles et de tous ceux auxquels il en appartenoit, à durer trois ans par mer et par terre. Et chantoient ainsi les paroles qui en la lettre étoient contenues[1] : que quiconque l’enfreindroit ni briseroit, par quelque manière ni condition que ce fût, il étoit tenu comme traître et enchu en peine de punition mortelle. Et pour ce que le sire de Coucy étoit souverain capitaine élu de par le roi et son conseil à garder et défendre les lointaines marches, entre la rivière de Dordogne et la mer et tout le pays d’Auvergne et de Limousin, on lui lisit tout au long devant lui. Et puis lui furent baillées et délivrées, pour montrer, si métier faisoit, à tous ceux qui à l’encontre voudroient rien dire ni aller ; par quoi ceux de Ventadour, de Caluset, d’Orbest, d’Ousach et des garnisons qui faisoient guerre d’Anglois ne s’en pussent excuser, si, en la peine qui mise y étoit, par leur coulpe ils enchéoient.

Pareillement le maréchal de France, messire Louis de Sancerre, les vit et ouït et en eut la copie ; et bien lui besognoit car il étoit regard et souverain des lointaines marches de Languedoc mouvant de la rivière du Rhône et du pont d’Avignon en avironnant les sénéchaussées que je vous nommerai, où moult de terres et de seigneurs appendent, jusques à la rivière de Dordogne. Premièrement la sénéchaussée de Beaucaire, la sénéchaussée de Carcassonne, la sénéchaussée de Toulouse, la sénéchaussée de Rouergue, la sénéchaussée de Caoursin, la sénéchaussée d’Anger, la sénéchaussée de Bigorre, la sénéchaussée de Pierregord et la sénéchaussée de Limoges. En ces sénéchaussées avoient encore plusieurs forts et garnisons qui petitement vouloient obéir à trève ni à paix, mais tendoient toujours à faire guerre : tels que ceux de Châtel-Tuilier et du fort châtel de Lourde séans en Bigorre sur les frontières de Béern. Et trop fort s’en doutoient et les ressoingnoient les pays voisins[2].

CHAPITRE III.

Du mariage du roi Louis, fils au duc d’Anjou, à la fille du roi Piètre d’Arragon, et comment il alla avec la roine de Naples sa mère, en Avignon, voir le pape Clément.


En ce temps étoit traité le mariage de Louis d’Anjou, fils au duc d’Anjou, lequel s’écrivoit jà roi de Naples, de Sicile et de Jérusalem et comte de Provence, à la fille du roi Piètre d’Arragon[3]. Si vint la roine de Naples sa mère en Avignon voir le pape, et y trouva le seigneur de Coucy, et amena en sa compagnie son jeune fils Louis. Le sire de Coucy fut moult lie de sa venue. La roine dessus nommée fut du pape Clément et des cardinaux recueillie très notablement, car bien le valoit ; et sachez que ce fut une dame de grand fait et de grand pourchas, car point ne dormoit en poursuivant ses besognes. Si fut prié le sire de Coucy de aider à convoyer son fils ens le royaume d’Arragon et être de-lez lui, tant comme il auroit épousé. Le sire de Coucy ne lui eut jamais refusé, mais s’ordonna de tous points d’aller en Arragon, et

  1. Voyez cet acte dans les Fædera de Rymer, année 1389, sous le titre de Formæ treugarum captarum apud Leulinghen. Ces trèves devaient commencer le 1er  août 1389 et finir le 16 août 1392. Le même acte désigne ceux qui doivent être les conservateurs de ces trèves en France et en Espagne. Il est daté de Leulinghen, 18 juin 1389.
  2. Ce récit est conforme à la teneur des trèves.
  3. Pierre IV, roi d’Arragon, était mort le 5 janvier 1387 à Barcelone, et avait eu pour successeur son fils D. Juan.