Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/182

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
176
[1392]
CHRONIQUES DE J. FROISSART.

Le roi de France, qui grandement avoit été débilité de santé par incidence merveilleuse, et n’en savoit-on conseil prendre ni à qui, car ce médecin, qui s’appeloit Guillaume de Harselli, étoit mort, et quand il se départit de Cray et du roi, il ordonna plusieurs recettes dont on usa, et retourna le roi sur le temps d’hiver en bonne santé, dont tout ses proesmes qui l’aimoient furent réjouis, et aussi tous les membres des communautés du royaume de France, car moult en étoit aimé, si vint à Paris et là environ[1], et la roine de France ; et tinrent le plus leur hôtel à Saint-Pol. À la fois le roi alloit ébattre à l’hôtel du Louvre, quand il lui plaisoit ; mais le plus il se tenoit à Saint-Pol ; et toutes les nuits, qui sont longues en hiver, il y avoit au dit hôtel de Saint-Pol, danses, carolles et ébattemens devant le roi, la roine, la duchesse de Berry et d’Orléans et les dames ; et ainsi passoient le temps et les longues nuits d’hiver. En celle saison avoit été à Paris le vicomte de Castelbon, lequel s’étoit trait à l’héritage de la comté de Foix et de Béarn, comme hoir droiturier des terres dessus nommées, et avoit relevé la dite comté de Foix et fait hommage au roi de France, ainsi comme appartenoit et que tenu étoit de faire, et de Béarn non, car le pays de Béarn est de si noble condition que les seigneurs, qui par l’héritage le tiennent, n’en doivent à nul roi ni à autre seigneur service fors à Dieu ; quoique le prince de Galles de bonne mémoire voult dire et proposer du temps passé, contre le comte Gaston de Foix dernièrement mort, qu’il le devoit relever de lui et venir au ressort à la duché d’Aquitaine ; mais le dessus dit comte s’en étoit bien défendu ; et au voir dire, toutes ces propositions et oppressions que le prince de Galles y avoit mis, fait et voulu, et montré à faire chalenge, tout avoit été par l’information du comte Jean d’Armignac, si comme il est escript et contenu en bonne forme et véritable ci-dessus en notre histoire ; si m’en passerai à tant.

Quand ce vicomte de Castelbon, appelé d’ores-en-avant comte de Foix, fut venu en France pour faire les droitures du relief et hommage de la comté de Foix, comme il appartenoit, il amena en sa compagnie un sien cousin, qui s’appeloit messire Yvain de Foix, fils au comte Gaston de Foix, beau chevalier, gent, jeune et de bonne taille, mais bâtard étoit ; et en son vivant le comte de Foix son père l’eût volontiers fait héritier de tous ses héritages, avecques un sien autre fils qui s’appeloit Gratien, lequel demeuroit de-lez le roi de Navarre ; mais les chevaliers de Béarn ne s’y voulrent oncques assentir. Si demeura la chose en cel état, car le comte mourut soudainement, ainsi que vous avez ouï recorder.

Quand le roi de France vit messire Yvain de Foix le jeune chevalier, si l’aima grandement, car lui sembloit bel et de bonne taille, et ils étoient, le roi et lui, tout d’un âge ; et en valurent grandement mieux les besognes du vicomte de Castelbon, et en eut plus briève délivrance ; puis s’en retourna le vicomte en son pays, et messire Yvain demeura de-lez le roi, et fut retenu des chevaliers du roi et de sa chambre à douze chevaux, et bien délivrés.

CHAPITRE XXXII.

L’aventure d’une danse faite en semblance de hommes sauvages, là où le roi fut en péril.


Avint que assez tôt après celle retenue, un mariage se fit en l’hôtel du roi, de un jeune chevalier de Vermandois et de une des damoiselles de la roine ; et tous deux étoient de l’hôtel du roi et de la roine. Si en furent les seigneurs, les dames et damoiselles et tout l’hôtel plus réjouis ; et pour cette cause le roi voult faire les noces ; et furent faites dedans l’hôtel de Saint-Pol à Paris, et y eut grand’foison de bonnes gens et de seigneurs ; et y furent les ducs d’Orléans, de Berry, de Bourgogne et leurs femmes[2]. Tout le jour des noces qu’ils épousèrent on dansa et mena-t-on grand’joie : le roi fit le souper aux dames, et tint la roine de France l’état ; et s’efforçoit chacun de joie faire, pour cause qu’ils véoient le roi qui s’en ensonnioit si avant. Là avoit un écuyer d’honneur en l’hôtel du roi, et moult son prochain, de la nation de Normandie, lequel s’appeloit Hugonin de Guisay ; si s’avisa de faire aucun ébattement pour complaire au roi et aux dames qui là étoient. L’ébattement qu’il fit, je le vous dirai. Le jour des noces, qui

  1. Ce fut à cette époque qu’il rendit l’ordonnance qui a fixé à quatorze ans la majorité des rois de France.
  2. Ces noces eurent lieu le 29 janvier 1392, ancien style, ou 1393, nouveau style.