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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

de toutes ces meschéances et peine que le roi et ses consaux avoient, n’étoit mie courroucé, mais réjoui ; et procuroit trop fort et faisoit traiter et prier qu’il pût retourner à la grâce et amour du roi et de l’hôtel de France ; et étoient les procureurs et les traiteurs le duc de Bourgogne et messire Guy de la Tremoille. Et trop légèrement fut venu à toute paix et accord, n’eût été le duc d’Orléans, qui à la fois empêchoit tous ses traités. Et tant que la haine eût duré entre le duc de Bretagne et messire Olivier de Cliçon, il ne fût venu à nulle paix ni accord. Mais quand la chose fut véritablement sçue, de la paix et accord du duc de Bretagne et du seigneur de Cliçon, la querelle messire Pierre de Craon en fut grandement adoucie. En ce temps l’avoit accueilli en plaid et en parlement, pour la somme de cent mille francs, la reine Jeanne de Naples et de Jérusalem et duchesse d’Anjou ; et se tenoit la dite dame toute coie à Paris pour mieux entendre à ses besognes. Messire Pierre de Craon, qui se véoit en ce danger, et traité en parlement, et ne savoit, ni savoir pouvoit, comment les besognes et arrêts de parlement se porteroient pour lui ou contre lui, et avoit à faire à forte partie, et prouvoit bien la dame sur lui que il avoit eu et reçu, vivant le roi Louis son mari, roi de Naples et de Jérusalem. Toutes ces choses imaginant et considérant, n’étoit pas bien aise ; car encore se sentoit-il en la malivolance et haine du roi de France et du duc d’Orléans. Mais le duc et la duchesse de Bourgogne le confortoient, aidoient et conseilloient tant qu’ils pouvoient. Il avoit grâce d’être à Paris, mais c’étoit couvertement ; et se tenoit le plus en l’hôtel d’Artois lez la duchesse de Bourgogne.

CHAPITRE XLVII.

Comment le roi de Honguerie escripsit au roi de France l’état de l’Amorath-Baquin, et comment Jean de Bourgogne, fils ains-né au duc de Bourgogne, fut chef de toute l’armée qui y alla.


En ce temps escripsit le roi Henry de Honguerie[1] lettres moult douces et amiables au roi de France, et l’envoya en France si notablement que par un évêque de Honguerie et deux de ses chevaliers ; et étoit contenu en ces lettres une grand’partie de l’état et affaire l’Amorath-Baquin ; et comment icelui se vantoit, ainsi qu’il avoit mandé au roi de Honguerie, qu’il le viendroit combattre au milieu de son pays, et chevaucheroit si avant qu’il viendroit à Rome, et feroit son cheval manger avoine sur l’autel Saint-Pierre à Rome, et là tiendroit son siége impérial, et amèneroit l’empereur de Constantinoble en sa compagnie, et tous les plus grands barons du royaume de Grèce, et tiendroit chacun en sa loi : il n’en vouloit avoir que le titre et la seigneurie.

Si prioit le roi de Honguerie, par ses lettres, au roi de France qu’il voulsist entendre à ce, et lui incliner que ces hautes besognes des marches lointaines fussent signifiées et certifiées notablement et éparses parmi le royaume de France, à la fin que tous chevaliers et écuyers se voulsissent émouvoir sur l’été à eux pourveoir et aller en Honguerie, et aider le dit roi de Honguerie à résister contre le roi Basaach[2] dit l’Amorath-Baquin, afin que sainte chrétienté ne fût foulée ni violée par lui, et que ses vantises lui fussent ôtées et reboutées. Ainsi, plusieurs paroles et ordonnances de grand amour, ainsi que rois et cousins escripsent l’un à l’autre en cause de nécessité et d’amour, étoient escriptes et contenues en ces lettres ; et aussi cils qui les apportèrent, lesquels étoient suffisans hommes et bien enlangagés, s’en acquitèrent bien ; et tant que le roi Charles de France s’y inclina de tout son cœur. Et en valurent grandement mieux les traités du mariage de sa fille au roi d’Angleterre ; et s’en approchèrent plus tôt que si ces nouvelles ne fussent point venues ni apportées de Honguerie en sa cour ; car, comme roi de France et chef de tous les rois chrétiens de ce monde, il y vouloit adresser et pourveoir.

Si furent ces lettres tantôt et ces nouvelles de Honguerie publiées, certifiées et signifiées en plusieurs lieux et éparties en plusieurs pays, pour émouvoir les cœurs des gentils hommes,

  1. Sigismond, marquis de Brandebourg et roi de Hongrie par son mariage avec Marie, fille de Louis, roi de Hongrie. Il fut couronné en 1386. Jean de Thwrocz, historien hongrois, raconte son arrivée dans le vrai style de l’idylle. « Nobiles regni, dit-il, pacis grata amœnitate gaudere præligentes, anno Domini 1386, ea videlicet anni ipsius ætate, cum ver, suavi avicularum modulamine gratissimum, posteros sui cursus propinquans ad limites, venienti fervidæ æstati, rubentibus hospitium decoraverat rosis, geminique currum vehentes Phœbi, altiores ætheris conscendebant ad gradus, ad magnum scilicet diem Pentecosten, in Albam Regalem convenerunt. »
  2. Bajazet. Thwrocz et les auteurs byzantins l’appellent Pasaithes.