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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

que vous alliez en Angleterre et signifiez votre état et emprise aux chevaliers et écuyers, et priez au roi d’Angleterre, votre cousin, qu’il vous veuille accorder que chevaliers, écuyers et archers d’Angleterre, parmi vos deniers payant, il vous fasse celle grâce qu’il les laisse partir et issir hors d’Angleterre, pour aller en ce voyage de Frise en votre compagnie. Anglois sont gens de fait et d’exploit, et au cas que vous les aurez vous en ferez bien votre besogne. Et si vous pouvez par prière avoir votre cousin le comte Derby en votre compagnie, votre voyage en seroit plus bel et votre emprise de plus grande renommée. » Le comte d’Ostrevant aux paroles et remontrances de Fier-à-Bras de Vertaing s’inclina du tout, car avis lui fut qu’il le conseilloit moult loyaument. Et quand il en parla au seigneur de Gommignies, il lui en dit en cause de conseil autre tant, et aussi firent tous ceux qui l’aimoient. Donc se commencèrent ces paroles et ces nouvelles à épandre en Hainaut ; et fut mise une ordonnance et défense sur tous chevaliers et écuyers hainuyers, que nul n’entreprît voyage à faire, ni à vuider le pays pour aller en Honguerie et ailleurs, car le comte d’Ostrevant les embesogneroit pour celle saison et les emmèneroit en Frise. Nous nous souffrirons un petit à parler de cette matière et parlerons des besognes devant emprises.

Ainsi avoient cause d’eux réveiller chevaliers et écuyers en plusieurs parties pour les armes qui apparoient en celle saison, les uns pour le voyage ; de Honguerie, les autres pour le voyage de Frise ; et en parloient et devisoient l’un à l’autre, quand ils se trouvoient ou étoient ensemble. Premièrement le comte de Nevers avança son voyage ; et furent nommés et escripts tous chevaliers et écuyers qui avecques lui de sa charge et délivrance iroient. Les pourvéances furent faites grandes et grosses, et bien ordonnées ; et pour ce que le voyage mouvoit de lui, et qu’il devoit avoir la renommée en sa nouvelle chevalerie de celle emprise, il fit plusieurs largesses aux chevaliers et écuyers qui en sa compagnie se mirent, et avantages, et de délivrance ; car le voyage étoit long et coûtable, si convenoit que les compagnons sur leurs finances et menus frais fussent aidés.

Pareillement s’ordonnoient et appareilloient les autres chefs de seigneurs, tels que le connétable de France, le comte de la Marche, messire Henry et messire Philippe de Bar, le sire de Coucy, messire Guy de la Tremoille, messire Jean de Vienne, amiral de France ; messire Boucicaut, maréchal de France, messire Regnault de Roye, le seigneur de Saint-Py, le seigneur de Montcaurel, le Hazle de Flandre, messire Louis de Friese, son frère, le Borgne de Montquel, et tant qu’ils étoient bien mille chevaliers et écuyers, et tous de vaillance et d’emprise. Et se départirent tous de leurs lieux sur la mi-mars, et chevauchèrent par ordonnance et par compagnie ; et trouvoient tous les chemins ouverts, car le roi d’Allemagne avoit commandé et ordonné par tout son royaume, en Allemagne et en Bohême, que tout leur fût ouvert, et appareillé ce qui leur étoit nécessaire, et que nuls vivres ne leur fussent renchéris.

Ces seigneurs de France chevauchoient et travailloient sur la forme que je vous dis, pour aller à l’aide du roi de Honguerie qui devoit avoir bataille contre l’Amorath-Baquin, puissance contre puissance. Le vingtième jour du mois de mai[1] passèrent Lorraine et la comté de Bar, et toute la comté de Montbéliart et la comté de Bourgogne, et entrèrent en Aussays[2], et passèrent tout le pays d’Aussays et la rivière du Rhin en plusieurs lieux, et la comté de Fieret[3], et puis entrèrent en Osteriche, et passèrent tout au long parmi le pays d’Osteriche qui est moult grand et de divers pays, et les entrées et issues fortes et despertes, mais ils y alloient tous de si grand’volonté que peine ni travail qu’ils eussent ne leur faisoit point de mal. Et parloient les plusieurs en chevauchant de cet Amorath-Baquin, et cremoient moult petit sa puissance. Le duc d’Osteriche fit aux chefs des seigneurs en son pays, et là où ils le trouvèrent, très bonne chère, et par espécial à Jean de Bourgogne, comte de Nevers, car son ains-né, fils monseigneur Othes, avoit Marie de Bourgogne épousée, comme jeunes qu’ils fussent, la fille au duc de Bourgogne, et sœur germaine à ce Jean de Bourgogne qui chef étoit de celle emprise[4]. Tous ces sei-

  1. De l’année 1396.
  2. Alsace.
  3. Ferrette.
  4. Léopold IV, duc d’Autriche, et non Othes, avait épousé Catherine et non Marie, fille de Philippe le-Hardi, duc de Bourgogne et sœur de Jean-sans-Peur, dont il est question ici. Léopold III, dit le Preux, père de Léo-