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LIVRE IV.

un écuyer moult bien fourni de tous membres, car il étoit grand et gros à merveilles et de très bon courage ; et aussi en ses consaulx étoit moult recommandé. Et bien ouïs un très vaillant écuyer et noble homme à merveille Guillaume de Cronembourch qui très fort enhortoit et admonestoit le dit voyage, car il avoit une merveilleuse haine aux Frisons ; et leur avoit fait moult de dépits et de contraires, et leur en fit encore assez depuis ainsi que vous orrez. Le dit Robert se départit de la Haye en Hollande avec Guillaume son fils, comte d’Ostrevant, et s’en vint en son pays de Hainaut, et par espécial en sa ville de Mons en laquelle il fit assembler et convenir les trois états du pays, qui très volontiers, comme à leur droiturier seigneur, obéirent. Et eux venus et assemblés il leur remontra et fit remontrer sa bonne et haute volonté sur le fait du voyage de Frise, et le droit et action qu’il avoit de ce faire ; et en ces remontrances faisant il leur fit lire plusieurs lettres patentes apostoliques et impériales, noblement et authentiquement de plomb et d’or scellées, saines et entières, par lesquelles apparoît et apparut évidemment le droit que il avoit en la seigneurie de Frise, en disant :

« Seigneurs et vaillans hommes, nos sujets, vous savez que tout homme doit son héritage garder et défendre ; et que l’homme pour son pays et pour sa terre peut de droit émouvoir guerre. Vous savez que les Frisons doivent par droit être nos sujets, et ils sont très inobédiens et rebelles à nous et à notre hautesse et seigneurie, comme gens sans loi et sans foi. Et pourtant, très chers seigneurs et bonnes gens, que de nous-mêmes et sans l’aide de vous, c’est à savoir de vos corps et de vos chevances nous ne pouvons bonnement un si haut fait fournir ni mettre à exécution, nous vous prions qu’à ce besoin vous nous veuilliez aider, c’est à savoir d’aide d’argent et de gens d’armes, à cette fin que iceux Frisons inobédiens nous puissions subjuguer et mettre en notre obéissance. »

Celle remontrance de telle ou de pareille substance ainsi faite que dit est, tantôt iceux trois états, d’un commun accord et assent, accordèrent à leur seigneur le duc Aubert sa pétition et requête, comme ceux qui très désirans étoient et ont toujours été trouvés tels, de faire plaisir, service et toute obéissance à leur seigneur et prince pleinement. Et, comme j’en ai été informé, ils lui firent tout prestement avoir sur son pays de Hainaut en deniers comptans trente mille livres, sans en ce comprendre la ville de Valenciennes, laquelle fit de ce très bien son devoir ; car le duc Aubert, avec son fils, les alla voir et leur fit une pareille requête que il avoit fait aux Hainuyers en sa ville de Mons.

Les choses ainsi conclues, ces bons vaillans princes, le bon duc Aubert et Guillaume son fils, comte d’Ostrevant, véant la bonne volonté de leurs gens, furent moult joyeux ; et non point de merveilles ; car ils sentoient et véoient que par eux ils étoient grandement aimés ; et si en seroient très hautement honorés. Et pourtant que ils se sentoient assez bien fournis d’argent et de finance, ils eurent conseil de envoyer par devers le roi de France, et lui feroient remontrer l’emprise de leur voyage ; et avec ce ils le prieroient d’aide. Si le firent ainsi. Et y furent envoyés deux vaillans chevaliers sages et prudens qui moult bien s’en acquittèrent, c’est à savoir monseigneur de Ligne et monseigneur de Jumont, lesquels étoient deux très vaillans chevaliers et moult bien aimés des François, et par espécial le seigneur de Ligne que le roi avoit fait son chambellan, et étoit très bien en la grâce du roi. Si en parla au roi, et lui remontra bien et à point la volonté et emprise de son seigneur le duc Aubert de Bavière, en faisant sa pétition et requête ; à laquelle très favorablement condescendit le roi et son conseil, mêmement le duc de Bourgogne, pour tant qu’il lui sembloit que sa fille, qui mariée étoit au comte d’Ostrevant, en pourroit au temps avenir mieux valoir, nonobstant que plusieurs seigneurs de France en parloient ou parlassent en diverses manières et assez étrangement, en disant : « Auquel propos nous viennent ces Hainuyers requérir ni prier le roi d’aide ? Ils voisent en Angleterre requérir et prier les Anglois ! Ne voilà pas Guillaume de Hainaut qui, puis un peu de temps, a pris le bleu gertier pour sa chausse lier, qui est l’ordre et enseigne des Anglois ; il n’a pas montré en ce faisant que il ait trop grand’affection ni amour aux François. »

Les autres, qui plus sages et avisés étoient, répondoient à ce et disoient : « Vous avez tort, beaux seigneurs, qui dites tels paroles. Si le comte d’Ostrevant a pris le bleu gertier, si ne