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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

c’est à savoir sa robe et sa chemise, et montra son derrière aux Hainuyers, Hollandois et Zélandois, et à toute la compagnie qui voir le voult, en criant aucuns mots, ne sais pas quels, non qu’elle dit en son langage : « Prenez là votre bien venue. » Tantôt que ceux des nefs et des vaisseaux perçurent la mauvaiseté de celle femme, ils tirèrent après flèches et viretons. Si fut tout prestement enferrée par les fesses et par les jambes, car au voir dire ce sembloit neige qui volât vers elle du trait que on lui envoyoit. Et ne demeura guères que les aucuns ne saillirent hors des nefs, les aucuns en l’eau et les autres dehors ; et se mirent à course après celle malheureuse femme, les épées toutes nues en leurs mains ; si fut tantôt prise et atteinte, et finablement toute dépecée en cent mille pièces ou plus. Et tandis s’avançoient toutes manières de gens d’armes à issir hors des nefs et des vaisseaux, et s’en vinrent contre ces Frisons qui les reçurent par leur très grand’vaillance, et les repoussoient et reboutoient de longues piques, et les aucuns abattoient par terre de longs bâtons ferrés au bout et bien bandés de part en part. Et pour voir dire, à prendre terre il y eut moult de faits d’armes faits, et plusieurs hautes et bien vaillans emprises, car de morts et d’abattus, il y en eut sans nombre ; mais par la force des archers et crenequineurs, Hainuyers, Hollandois et Zélandois, et tous les autres qui se combattoient par très belle ordonnance, gagnèrent sur les Frisons la digue et la place, et demeurèrent victorieux pour celle première emprise. Et là sur celle digue se arrangèrent-ils moult ordonnément, chacun sous sa bannière en attendant l’un l’autre. Et véritablement, quand il furent tous arrangés, ils tenoient plus de demie lieue de long. Ces Frisons, qui avoient été reboutés et qui avoient perdu celle digue, se retrairent entre leurs gens qui étoient bien trente mille tous enclos en une landwere dont avoient jeté la terre par devers eux ; et étoit le fossé très parfait, lequel fossé n’étoit point loin de là, car très bien les pouvoient voir les Hainuyers, Hollandois et Zélandois et François qui rangés étoient sur celle digue. Et en celle ordonnance firent-ils tant et si longuement que toutes manières de gens furent hors des nefs et des vaisseaux, et tous leurs habillemens et aucunes tentes très bien dressés, et se reposèrent et aisèrent ce dimanche et le lundi, en avisant leurs ennemis les Frisons ; et y eut fait en ces deux jours plusieurs escarmouches et faits d’armes.

Quand ce vint le mardi au matin, ils furent tout prêts de côté et d’autre ; et adonc furent faits plusieurs nouveaux chevaliers entre les Hainuyers, Hollandois et Zélandois ; et étoit ordonné que Frisons seroient combattus. Si se mirent tous ces Hainuyers, Hollandois, Zélandois, avec leurs aidans, en bataille très ordonnément, et leurs archers entre eux et devant ; et puis firent sonner trompettes ; et en ce faisant, il commencèrent à venir pas à pas pour passer ce fossé. Lors vinrent Frisons avant qui se défendoient, et archers tiroient sur eux. Mais ces Frisons se couvroient de targes et de la terre du fossé qui étoit haute devers eux. Néanmoins ils furent approchés de si près que plusieurs Hollandois se boutoient en ce fossé et faisoient pont de lances et de piques, et par très merveilleuse manière commencèrent à envahir ces Frisons, lesquels défendoient le pas très vaillamment, et ruoient les coups si grands sur ceux qui vouloient monter sur la digue du fossé que ils les rejetoient tous plus étendus en ce fossé. Mais les Hainuyers, Hollandois, Zélandois, François et Anglois, étoient si fort armés que les Frisons ne les pouvoient endommager, ni autre mal ne leur faisoient que ruer par terre ; et là étoient les faits d’armes et les appertises montrées et vues si grands et si nobles que ce seroit chose impossible de tout recorder. Là s’acquittoient ces nouveaux chevaliers, qui désiroient faire armes et mettre leurs ennemis au-dessous, lesquels se défendoient très merveilleusement et aigrement ; car au voir dire ce sont forts hommes, grands et gros, mais ils étoient très mal armés ; et y avoient plusieurs tout déchaux sans chausses et souliers, combien que tous se défendissent par très grand courage.

En ce foulis et merveilleux assaut où étoient plusieurs durs et horribles rencontres, et grands poussis de lances et de piques, et grands martelets de haches que avoient les Frisons, lesquelles étoient à manière de cuingnies à battre bois, bien bandées de fer au long des hanstes, trouvèrent monseigneur de Ligne, monseigneur le sénéchal de Hainaut, monseigneur de Jumont et plusieurs autres seigneurs de Hainaut atout