Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/262

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
256
[1396]
CHRONIQUES DE J. FROISSART.

CHAPITRE LI.

Comment l’ordonnance des noces du roi d’Angleterre et de la fille de France se fit, et comment le roi de France lui livra en sa tente entre Ardre et Calais.


Vous sçavez comment le roi d’Angleterre, quand il eut été à Calais, et là séjourné avec ses oncles et plusieurs prélats et barons d’Angleterre de son conseil, et parlementé au duc de Bourgogne sur certains traités, et qu’il fut retourné en Angleterre, il s’y tint tant que la Saint-Michel fut venue et que les parlemens généraux se tenoient au palais de Wesmoustier. Et entretant on fit ses pourvéances à Calais grandes et grosses, et aussi à Guines, et de tous les seigneurs d’Angleterre. Et là étoient envoyées la greigneur partie des ports et des havènes d’Angleterre et de là la rivière de la Tamise ; et aussi on en prenoit grand’foison en Flandre, à Bruges, au Dam, et à l’Escluse. Et toutes ces pourvéances venoient par mer à Calais. Pareillement pour le roi de France, et son frère le duc d’Orléans et leurs oncles, et des prélats et barons de France, on faisoit grands pourvéances à Saint-Omer, à Aire, à Therouenne, à Ardre, à le Montoire, à Bavelinghen et en toutes les maisons et abbayes de là environ ; et n’y étoit rien épargné, ni d’un côté ni de l’autre ; et s’efforçoient tous les officiers des seigneurs l’un pour l’autre ; et par espécial l’abbaye de Saint-Bertin étoit fort remplie de tous biens pour recueillir les royaux.

Quand les parlemens d’Angleterre, qui sont et se font par usage tous les ans au palais du roi à Wesmoustier, furent passés ; et commencent à la Saint-Michel, et ont ordonnance de durer quarante jours, mais pour lors on les abrégea, car le roi n’y fut que cinq jours. Et furent ces cinq jours remontrées les besognes du royaume les plus près touchans et les plus nécessaires, et par espécial celles qui à lui appartenoient et pour lesquelles il étoit retourné et là venu de Calais ; il se mit au chemin, et aussi firent ses deux oncles Lancastre et Glocestre, et tous les prélats, barons et chevaliers d’Angleterre qui du conseil étoient, et qui escripts et mandés étoient ; et tant exploitèrent que tous passèrent la mer et se trouvèrent à Calais. Le duc Aimond d’Yorch ne passa point la mer et demoura en Angleterre et aussi ne fit le comte Derby, et demourèrent derrière pour garder en Angleterre jusques au retour du roi.

Quand le roi d’Angleterre et ses oncles furent venus à Calais, ces nouvelles furent tantôt signifiées aux seigneurs de France qui se tenoient en la marche de Picardie. Si s’en vinrent à Saint-Omer, et se logèrent le duc de Bourgogne et sa femme en l’abbaye de Saint-Bertin.

Tantôt que le roi de France sçut que le roi d’Angleterre étoit venu à Calais, il y envoya le comte de Saint-Pol voir le roi et lui dire de leur ordonnance, comment on vouloit en France qu’elle se fit. Le roi d’Angleterre y entendit volontiers, car grand’plaisance il prenoit à la matière. Or retournèrent à Saint-Omer en la compagnie du comte de Saint-Pol, le duc de Lancastre, et son fils messire Beaufort de Lancastre et le duc de Glocestre, et Offrem comte de Rostellant, fils au duc de Glocestre, et le comte Maréchal, le comte de Hostidonne, chambrelan d’Angleterre, et grand’foison de barons et de chevaliers, lesquels furent grandement et bien recueillis du duc de Bourgogne et de la duchesse ; et là vint aussi le duc de Bretagne ; et avoit laissé le roi de France à Aire, et la jeune roine d’Angleterre sa fille.

Vous devez savoir que, toute la peine et diligence que on put mettre à bien fêter ces seigneurs d’Angleterre, on le fit et mit. Et leur donna la duchesse de Bourgogne grandement et richement à dîner ; et fut la duchesse de Lancastre à ce dîner, et la duchesse de Glocestre, et ses deux filles, et ses fils ; et y eut donné grand’foison de mets et d’entremets, et grands présens nobles, et richesse de vaisselle d’or et d’argent et de toutes nouvelles choses, et rien n’y eut épargné en état tenir, tant que les Anglois s’en émerveilloient où telles richesses pouvoient être prises. Et par espécial le duc de Glocestre en avoit grands merveilles ; et disoit bien à ceux de son conseil que au royaume de France est toute richesse et puissance. Ce duc de Glocestre, pour le adoucir et mettre en bonne voie de raison et de humilité, car les seigneurs de France savoient qu’il étoit haut et dur en toutes concordances, on lui faisoit et montroit tous les signes d’amour et de honneur qu’on pouvoit. Néanmoins tout ce, il prenoit bien les joyaux que on lui donnoit et présentoit, mais toujours demeuroit la racine de la rancune dedans le cœur ; ni oncques, pour chose que les François sçussent