Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/263

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
[1396]
257
LIVRE IV.

faire, on ne le put adoucir qu’il ne demeurât toujours fel et cruel en toutes réponses puisqu’elles traitoient et parloient de paix. François sont moult subtils, mais tant que a lui ils n’y savoient comment avenir ; car ses paroles et ses réponses étoient si couvertes que on ne les savoit comment entendre ni sur quel bout prendre. Et quand le duc de Bourgogne en vit la manière, si dit à ceux de son conseil : « Nous perdons quant que nous mettons à ce duc de Glocestre ; car jà, tant qu’il vive, il ne sera paix entre France et Angleterre ; mais trouvera toujours nouvelles cautelles et incidences par quoi les haines s’engendreront et relèveront ès cœurs des hommes de l’un royaume et de l’autre, car il n’entend ni ne pense à autre chose. Et si le grand bien que nous véons au roi d’Angleterre n’étoit pas, par quoi au temps avenir nous en espérons mieux valoir, pour vérité il n’auroit jà à femme notre cousine de France. »

Quand le duc et la duchesse de Bourgogne, la comtesse de Nevers et la comtesse de Saint-Pol, et les dames et seigneurs de France eurent reçu ces seigneurs et dames d’Angleterre et festoyés si grandement comme vous avez ouï, en laquelle recueillette fut avisé et ordonné comment, où et quand les deux rois s’encontreroient et trouveroient sur les champs, et seroit au roi d’Angleterre délivrée sa femme, congé fut pris et donné de toutes parties ; et retournèrent les deux ducs d’Angleterre, leurs femmes, enfans et tous leurs barons d’Angleterre et chevaliers aussi qui là avoient été à Calais, devers le roi auquel ils recordèrent comment on les avoit recueillis et festoyés, et grandement enrichis de dons et de joyaux. Ces paroles et louanges plurent grandement au roi d’Angleterre, car il étoit bien joyeux quand il oyoit bien dire du roi de France et des François, tant les avoit-il jà énamourés pour la cause de la fille du roi qu’il tendoit à avoir à femme. Assez tôt après vint le roi de France à Saint-Omer et se logea en l’abbaye de Saint-Bertin, et bouta tout hors ceux et celles qui logés y étoient, et amena le duc de Bretagne en sa compagnie. Et furent ordonnés aller à Calais parler au roi et à son conseil, les ducs de Berry, de Bourgogne et de Bourbon ; et se départirent de Saint-Omer ; et chevauchèrent devers Calais, et firent tant qu’ils y vinrent. Si furent recueillis du roi et des seigneurs grandement et joyeusement, et leur fut faite la meilleure chère comme on put ; et eurent là les trois ducs dessus nommés certain et espécial traité au roi d’Angleterre et à ses oncles. Et cuidèrent adonc moult de gens de France et d’Angleterre que paix fût accordée entre France et Angleterre. Et étoient presque sur cel état, et s’y assentoit assez pour ce temps le duc de Glocestre ; car le roi l’avoit si bien mené de paroles, que promis, là où paix se feroit, qu’il feroit son fils Offrem, comte de Rochestre, en héritage, et feroit valoir la dite comté par an de revenue à quatre mille livres l’estrelin, et au dit duc de Glocestre, son oncle, il donneroit, lui retourné en Angleterre, en deniers appareillés cinquante mille nobles. Si que, par la convoitise de ces dons, le duc de Glocestre avoit grandement adouci ses dures opinions, tant que les seigneurs de France qui là étoient venus s’en aperçurent assez ; et le trouvèrent plus humble et doux que oncques mais n’avoient fait.

Quand tout fut ordonné ce pourquoi ils étoient là venus, ils prirent congé au roi et aux seigneurs ; et s’en retournèrent arrière à Saint-Omer devers le roi de France et le duc d’Orléans, son frère, qui là les attendoient, et recordèrent comment ils avoient exploité. Le roi de France se départit de Saint-Omer et s’en vint loger en la bastide d’Ardre, et le duc de Bourgogne à le Montoire, le duc de Bretagne en la ville d’Osque et le duc de Berry à Bavelinghen. Et furent tendus sur les champs de toutes parts tentes et trefs, et tout le pays rempli de peuple tant de France comme d’Angleterre. Et vint le roi d’Angleterre loger à Guynes, et le duc de Lancastre avecques lui, et le duc de Glocestre à Ham. La nuit Saint-Simon et Saint-Jude, qui fut par un vendredi, en l’an de grâce Notre Seigneur mille trois cent quatre vingt et seize, sur le point de dix heures, se départirent les deux rois, chacun avec ses gens, de sa tente, et s’en vinrent tout à pied l’un contre l’autre, et sur une certaine place de terre où ils se dévoient trouver et encontrer. Et là étoient rangés tout d’un lez quatre cens chevaliers françois armés tout au clair et les épées ès mains, et d’autre part pareillement quatre cens chevaliers Anglois armés comme dessus ; et étoient ces huit cents chevaliers hayés et rangés d’une part et d’autre ; et passèrent les deux rois tout au long