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LIVRE IV.

cause. Les hautes dames de France, telles que, la duchesse de Bourgogne, pour son fils le comte de Nevers, et sa fille, Marguerite de Hainaut, pour son mari le dit comte, furent fort courroucées, et bien y avoit cause ; car ce leur tenoit trop près du cœur. Ainsi furent Marie de Berry, comtesse d’Eu, pour son mari messire Philippe d’Artois, connétable de France, la comtesse de la Marche, la dame de Coucy, et sa fille de Bar, la dame de Sully et toutes les dames généralement, tant au royaume de France comme ailleurs. Mais ce les réconfortoit au fort, quand elles avoient assez pleuré et lamenté, qu’ils étoient prisonniers. Mais il n’y avoit nul réconfort en celles qui sentoient et entendoient leurs maris morts et leurs frères, pères, enfans et amis. Et durèrent ces lamentations moult longuement parmi le royaume de France et ailleurs aussi.

Vous devez savoir que le duc de Bourgogne festoya grandement le chevalier de Helly qui ces nouvelles lui avoit apportées de son fils ; et lui donna beaux dons et riches, et le retint de ses chevaliers, parmi deux cents livres de revenue par an, dont il le doua à tenir son vivant. Le roi de France et tous les seigneurs firent grand profit au dit chevalier, lequel mit en termes, puisqu’il avoit fait son message, qu’il lui convenoit retourner devers l’Amorath ; car ainsi lui avoit été dit à son département, et se tenoit encore prisonnier à l’Amorath ; quoiqu’il fût venu, ce n’avoit été que pour aller apporter nouvelles, tant de l’Amorath et de sa victoire, que des seigneurs de France qui pris et morts étoient et avoient été à la bataille de Nicopoli. Ces paroles et signifiances du retour que messire Jacques fit au roi et aux seigneurs leur furent assez agréables, et leur sembloient raisonnables ; et entendirent sur sa délivrance. Et escripsirent le roi, le duc de Bourgogne, et les seigneurs qui à Paris étoient, à leurs prismes et amis. Mais avant toutes ces choses, avisé fut en conseil du roi de France, que on en envoyeroit, de par le roi, un chevalier d’honneur, de prudence, et de vaillance devers l’Amorath-Baquin ; et lequel, son message fait au dit Amorath, retourneroit en France et rapporteroit secondes nouvelles du dit Amorath, au cas que messire Jacques de Helly ne pouvoit retourner fors que par congé, car il étoit encore prisonnier, où qu’il fût, et obligé au dit Amorath.

Si fut élu à aller en ce voyage, et faire le message de par le roi de France, messire Jean de Chastelmorant, chevalier pourvu de sens et de langage, froid et attrempé en toutes manières. Et fut sçu et demandé à messire Jacques de Helly quels joyaux on pourroit transmettre et envoyer de par le roi de France au dit roi Basaach qui mieux lui pussent complaire, afin que le comte de Nevers et tous les autres seigneurs qui prisonniers étoient en vaulsissent mieux. Le chevalier répondit à ce et dit, que l’Amorath prendroit grand’plaisance à voir draps de hautes lices ouvrés à Arras en Picardie, mais qu’ils fussent de bonnes histoires anciennes ; et aussi à voir blancs faucons qui sont nommés Gerfaux. Avecques tout, il pensoit que fines blanches toiles de Rheims seroient de l’Amorath et de ses gens recueillies à grand gré, et fines écarlates ; car de draps d’or et de soie, en Turquie le roi et les seigneurs avoient assez et largement ; et prenoient en nouvelles choses leurs ébattemens et plaisances. Ces paroles furent arrêtées du roi et du duc de Bourgogne, qui toute son entente mettoit à complaire à l’Amorath pour la cause de son fils.

Environ douze jours demeura messire Jacques de Helly à Paris de-lez le roi et les seigneurs qui volontiers l’écoutoient, pourtant que très proprement il parloit des aventures de Turquie et de Honguerie, de l’Amorath-Baquin et de son ordonnance. Et aussi pourtant qu’il devoit retourner vers lui et devers les seigneurs, à son département il lui fut dit : « Messire Jacques, vous cheminerez tout souef et à votre aise. Nous créons bien, dirent les seigneurs, que vous irez par Lombardie, et parlerez au duc de Milan, car ils se entr’aiment et connoissent assez, par ouï dire et par recommandation, l’Amorath et lui, car oncques ne se virent. Mais quel chemin que vous teniez, nous vous prions et enjoignons que messire Jean de Chastel-Morant, lequel nous avons ordonné à envoyer de par le roi, attendiez en Honguerie ; car c’est notre entente qu’il passera outre et ira en Turquie, et portera dons et présens de par le roi de France à l’Amorath afin qu’il soit plus doux et débonnaire au comte de Nevers et à ceux de sa compagnie qui sont au danger de l’Amorath. »

Messire Jacques de Helly répondit à ce et dit que tout ce il feroit volontiers.