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LIVRE IV.

et manière comme elle a couru environ six ans, et à payer du cent treize sur ceux qui viendroient ; et parmi tant le roi vous jura à tenir et scella moult de franchises, lesquelles il ne vous veut pas ôter, mais accroître et amplier tous les jours, au cas que vous le desserviriez ; mais là où vous voudrez être rebelles et contredisant à ce que vous avez de bonne volonté accordé, il rappelle toutes les grâces faites. Et vé-ci les nobles, prélats et fiéfés, qui ont juré à lui, et lui à eux aider à tenir et soutenir toutes choses licites, données, établies et accordées pour le meilleur, et à ce faire généralement tous se sont arrêtés et par science. Si ayez avis sur ce, et considérez que l’état du roi est grand et puissant ; et s’il est augmenté en une manière, il est diminué en l’autre ; car les rentes et revenues ne retournent pas pour le roi à si grand profit, comme elles ont fait du temps passé. Et ont eu le roi et ses consaulx moult à souffrir et porter de grans coûtages, puis les guerres renouvelées entre France et Angleterre ; et moult ont frayé les traiteurs qui ont été par delà la mer traiter et tenir journée contre les François. Aussi le mariage du roi à poursuivre a moult coûté. Et quoique trèves soient entre France et Angleterre, moult coûtent par an les garnisons des villes et chastels qui sont en l’obéissance du roi, tant en Gascogne, Bordelois, Bayonnois, Bigorre, la marche de Guynes et de Calais, aussi toute la bande de la mer pour garder les ports, hâvres et frontières.

« D’autre part toute la marche, entrée et issue d’Escosse, qui ne peut être dépourvue qu’elle ne soit gardée, et aussi la frontière d’Irlande qui est longue et étendue. Toutes ces choses et autres plusieurs, qui se rapportent en l’état du roi et sur l’honneur du royaume d’Angleterre, montent grands frais et coûtages tous les ans. Et ce savent et entendent mieux les nobles et prélats de ce royaume que vous ne faites, qui ouvrez et labourez et menez vos marchandises. Louez Dieu de ce que vous êtes si en paix ; et regardez entre vous que nul ne le paye s’il ne le vaut et fait marchandise. Et autant bien le payent les étrangers que font ceux de celle terre. Vous en êtes à meilleur marché quittes que ne sont ceux de France, de Lombardie ni des autres royaumes où espoir vos marchandises vont, car ils sont taillés et retaillés deux ou trois fois en l’an, et vous passez parmi une ordonnance raisonnable qui est mise et assise sur vos marchandises. »

Ce que le duc de Lancastre parla et remontra ce propos doucement et sagement au peuple, qui étoit for-conseillé et tout accueilli de mal faire par information d’autrui, les apaisa et adoucit grandement ; et se dérompit et départit cil conseil et celle assemblée sans rien de nouveau ; et se tinrent les plus saines parties des consaulx, cités et bonnes villes à contens. S’il en y avoit aucuns qui voulsissent voir le contraire, si n’en montroient-ils nuls semblans. Le duc de Glocestre retourna en son hôtel et chastel de Plaissy, et vit bien que pour celle fois il ne viendroit point à ses attentes ; et demeura la chose en cel état, toujours disant et subtilant comment il pourroit mettre et bouter un trouble en Angleterre, et trouver voie que la guerre fût renouvelée en France. Et avoit de son accord l’oncle à sa femme, le comte d’Arondel, qui désiroit la guerre sur toutes riens ; et tant avoient fait que ils avoient attrait de leur volonté le comte de Warvich.

Le roi d’Angleterre avoit deux frères de par sa mère. L’un et l’ains-né on l’appeloit messire Thomas et étoit comte de Kent, et le second, messire Jean de Holland, avoit à femme la fille au duc de Lancastre, et étoit comte de Hostidonne[1] et chambellan d’Angleterre, et fut cil qui occit le fils au comte Richard d’Estanfort[2], si comme il est ci-dessus contenu en notre histoire. De messire Richard d’Estanfort étoit demeuré un fils, jeune écuyer, et ce fils étoit en la garde et protection du duc de Glocestre. Le comte de Hostidonne se tenoit le plus du temps de-lez le roi d’Angleterre, son frère ; et bien savoit plus que nuls autres des convenans et affaires du duc de Glocestre, car couvertement et sagement il en faisoit enquérir ; et aussi il doutoit le duc trop grandement, car il le sentoit félon, soudain et haut durement ; et se tenoit son ennemi de-lez lui, car du délit que il avoit fait de messire Richard d’Estanfort il n’étoit encore nulle concordance de paix. Le roi Richard d’Angleterre aimoit son frère, c’étoit raison, et le portoit contre tous ; et véoit bien et concevoit que son oncle de Glocestre lui étoit trop fort contraire, et se mettoit en peine de

  1. Huntingdon.
  2. Stafford.