Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/296

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
290
[1397]
CHRONIQUES DE J. FROISSART.

guerre seroit renouvelée entre France et Anglelerre ; et si le roi de France vouloit ravoir sa fille, elle étoit encore jeune de l’âge de huit ans et demi, si pouvoit bien attendre à âge de femme. Espoir quand elle auroit douze ans se repentiroit-elle de son mariage, car en innocence on l’avoit mariée ; si n’étoit pas chose de raison de la démarier de l’hoir de Bretagne. Et si elle vouloit demeurer et tenir mariage elle demeureroit roine d’Angleterre et auroit son douaire. Mais jà ne seroit corrompue du roi d’Angleterre ; et si le roi d’Angleterre mouroit avant que la jeune dame eût l’âge, on auroit conseil du renvoyer en France.

Toutes telles propositions et actions mettoient en termes plusieurs Anglois, et par espécial en la cité de Londres. Et ne pouvoient les Londriens aimer le roi ni son affaire ; et se repentoient plusieurs que, quand les communautés en la comté de Kent, en Excesses, en Souxesses et en la comté d’Arondel s’élevèrent et ils vinrent à Londres, que on leur brisa leur propos et que on ne laissa Tuilier, Lister et Jean Balle convenir, car ils avoient entrepris, ainsi qu’ils confessèrent à la mort, occire le roi, le comte de Salsebery, le comte d’Asquesuffort[1] et tout le conseil du roi ; et si ils eussent ainsi fait par cause de rébellion de tout le royaume, de ce mesfait on fût légèrement venu à chef ; et eussent les Londriens, avecques l’accord du pays et du comte de Bouquinghem nommé duc de Glocestre, qui rendoit grand’peine à tout touiller, trouvé qui eût pris le gouvernement de la couronne et remis le royaume d’Angleterre en autre état qu’il n’est. Tout ainsi et encore pis murmuroient les Londriens et ceux de leur secte ; et faisoient secrets consaux. Et tout ce savoit le roi Richard, et bien étoit qui en secret lui remontroit et lui reprenoit, et en étoit plus encoulpé le duc de Glocestre que nul des autres.

Le roi Richard d’Angleterre s’ébahissoit à la fois quand il sentoit tels haines couvertes sur lui si envieuses et si périlleuses ; et ce n’étoit pas de merveille. Si montroit-il tous les semblans d’amour comme il pouvoit à son oncle le duc de Glocestre et aux Londriens quand ils le venoient voir, mais rien n’y valoit. À la fois le roi en parloit tout souef à ses deux autres oncles, le duc de Lancastre et le duc d’Yorch, qui se tenoient le plus du temps de-lez lui ; et leur remontroit doucement et sagement, pour avoir conseil comment il s’en pourroit chevir, et ce dont il étoit informé, et leur disoit : « Mes beaux oncles, pour Dieu conseillez-moi ! Je suis tous les jours informé de vérité que votre frère, mon oncle de Glocestre, le comte d’Arondel et leurs complices me veulent prendre, et de fait, et ont assez l’accord des Londriens, et mettre en un chastel, et là enclorre, et donner mon état par portion, et ma femme, qui est un enfant et fille du roi de France, séparer de moi et envoyer autre part tenir son état. Mes beaux oncles, ce sont crueuses choses et qui pas ne sont à souffrir tant qu’on y puist obvier. Vous m’avez fait hommage et juré foi à tenir, présent votre seigneur de père le roi Édouard de bonne mémoire mon grand seigneur ; et à ce jour jurèrent tous les prélats et barons du royaume d’Angleterre à moi tenir à roi et y demeurer, passé a jà le terme de vingt ans. Si vous prie, en nom d’amour et de charité, et par le serment que vous avez à moi et que vous me devez, que vous me conseillez. Car à ce que je puis voir et imaginer, mon oncle de Glocestre ne chasse ni demande autre chose fors que la guerre se renouvelle entre France et Angleterre et que les trèves soient rompues, laquelle chose nous avons, vous et tout le royaume d’Angleterre à qui il en appartient parler, juré solemnellement et scellé ; et sur celle composition et ordonnance on m’a conjoint par mariage à la fille du roi de France, et n’y entendons que tout bien. Et vous savez, mes beaux oncles, quiconque va à l’encontre de ce qu’il a juré à tenir et scellé par cause de preuve, il se forfait trop grandement ; et est droit écrit qu’il soit puni de corps et d’avoir. Et je déporte mon oncle de Glocestre votre frère tant que je puis, et tourne à néant ses menaces et promesses qui trop me pourroient coûter. Vous êtes tenus, puisque je vous le dis et remontre, et que je demande votre conseil, que vous me conseillez. »

À la fois ces deux seigneurs dessus nommés, pourtant qu’ils véoient ce roi angoisseux de cœur et que il leur remontroit si bellement et si acertes

    linshed donne toutefois les détails de la conspiration dont parle Froissart, d’après une autre autorité, et nomme ceux qui avaient conjuré contre le roi Richard avec le duc de Glocester. (Voyez Hollinshed, an 1397.)

  1. Oxford.