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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

adversaire, et que par ce vous êtes trop forfait et anéanti, et que trop avez affoibli et amendri la seigneurie d’Angleterre ; et les courages des vaillans chevalier et escuyers qui ont toujours vaillamment continué sa guerre et vouloient continuer, affoibli et découragé ; et mettez le royaume d’Angleterre en péril et en aventure d’être perdu, et que c’est dommage et pitié très grand que on le vous souffre et a souffert jusques ici. Les François disent en France, ainsi que renommée queurt, dont ceux de ce pays ont grand’haine sur vous, que on leur veut ôter les armes. La cause est par ce que si soigneusement vous avez entendu à leurs traités, et donné et pris trèves, le plus par force et le moins par amour ; car les nobles de ce pays dont on est servi et aidé ès guerres ne s’y vouloient accorder ; et que vous n’aviez pas trop soigneusement visité les lettres données, accordées et jurées à tenir et scellées du roi Jean de France et de ses enfans, des quelles les enfans vivans n’ont nulles tenues, mais enfreintes cauteleusement. Et ont les François trouvé cautelles et voies obliques, par lesquelles ils ont renouvelé la guerre, tollu et ôté et usurpé tous les droits que vos prédécesseurs ont eu en la querelle, et repris, tellement quellement terres, pays et sénéchaussées en Aquitaine, cités, châteaux et villes. Et tout ce vous avez anéanti et négligé ; et avez montré povre courage ; et que vous avez douté vos ennemis et n’avez pas poursuivi les accidens de la matière, et la bonne et juste querelle que vous aviez et avez eu et avez encore, si vous considériez bien tous les points et articles de la querelle sur lequel procès vos prédécesseurs sont morts ; premièrement votre seigneur de père le prince de Galles et d’Aquitaine, et le bon roi Édouard votre tayon qui tant de peine, de soin, et diligence mirent à le augmenter. Cher sire, un jour viendra, ce disent les Londriens, et aussi font autres en Angleterre, nous ne le vous pouvons plus celer, que telles choses vous seront si renouvellés qu’elles vous cuiront. »

CHAPITRE LVII.

Comment le duc de Glocestre fut pris par le comte Maréchal au commandement du roi.


Le roi Richard d’Angleterre notoit bien toutes ces paroles que on lui disoit en son retrait en grand secret ; et tant les nota et pensa sus, comme imaginatif qu’il étoit, que, un petit après que ses deux oncles les ducs de Lancastre et d’Yorch se furent partis de sa compagnie et allés en leur manoir, ainsi comme ci-dessus est dit, il mit ose et hardiment ensemble ; et dît en soi-même premièrement, que mieux valoit qu’il déconfît autrui que il fût détruit, et que brièvement îl avoit tel son oncle de Glocestre que on en seroit à toujours assuré de lui. Et pour ce qu’il ne pouvoit celle emprise faire seul, il se découvrit à ceux où il avoit la greigneur fiance, ce fut au comte Maréchal, son cousin, comte de Nothinghen ; et lui dit de mot à mot tout ce qu’il vouloit qui se fit. Le comte Maréchal, qui plus aimoit le roi que le duc de Glocestre, car il lui avoit fait moult de biens, tint la parole du roi en secret, fors à ceux desquels il se vouloit aider, car il ne pouvoit faire son fait seul. Les paroles qui s’ensuivent vous éclairciront la manière et ordonnance du procès.

Le roi d’Angleterre s’en vint sur forme et manière d’ébattement et pour chasser aux daims, en un manoir à vingt milles de Londres que on dit Havringes-le-bourc[1] en la marche d’Excesses et assez près de Plaissy, à vingt milles ou environ, là où le duc de Glocestre continuellement tenoit son hôtel. Le roi se départit un après dîner de Havringes-le-bourc et ne menoit pas tout sont état avecques, mais l’avoit laissé à Eltam de-lez la roine ; et s’en vint à Plaissy ainsi que sur le point de cinq heures. Et faisoit moult bel et moult chaud ; et quand il entra au chastel de Plaissy on ne s’en donnoit de garde, quand on dit : « Vecy le roy ! » Et avoit jà le duc de Glocestre soupé, car il fut moult sobre, et petit séoit à table, tant de dîner comme de souper. Il vint à l’encontre du roi en-mi la place du chastel, et l’honora ainsi qu’on doit faire son seigneur, et que bien le sçut faire. Aussi fit la duchesse et ses enfans qui là étoient. Le roi entra en la salle et puis en la chambre. On couvrit une table pour le roi, et petit soupa ; et jà avoit-il dit au duc : « Bel oncle, faites sceller vos chevaux, non pas tous, mais cinq ou six, il convient que vous me tenez compagnie à Londres, car j’ai demain une journée contre les Londriens, et nous trouverons là mon oncle de Lancastre

  1. Havering at the Bower.