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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

outre avant encore venans à cette somme, ce disoient ceux qui du fait de la recette et des mises s’entremettoient, autrement toutes choses ne seroient point accomplies ni payées.

Or étoit à savoir où cet avoir seroit pris et trouvé pour partout satisfaire ; car encore, avecques tous ces meschefs, il convenoit le duc, la duchesse et leurs enfans, où qu’ils fussent, tenir leur état grand et étoffé qui ne pouvoit rompre ni laisser. Aussi n’étoit pas leur intention.

Si fut avisé et regardé en leur conseil : que les cités et bonnes villes, les terres et seigneuries qu’ils tenoient, dont ils avoient grand’foison, voire les bonnes gens qui y demeuroient et habitoient, fussent taillés ; et par espécial ceux de Flandre où il abonde moult de finance, pour fait de marchandise, en eussent la greigneur part de la taxation. Si que petit à petit le comte de Nevers étant et séjournant à Venise ou ès marches, ces traités se ouvrirent et entamèrent ; et en répondirent ceux de la ville de Gand, quand ils en furent appelés, moult courtoisement ; et dirent qu’ils vouloient bien payer et aider leur héritier jusques à la somme de cinquante mille florins. Aussi ceux de Bruges, de Malignes, d’Utrecht, d’Yppre, de Courtray et de toutes les bonnes villes de Flandre et des tenures, poestés et ressort de Flandre en répondirent courtoisement ; et dirent que de fait on les trouveroit tout prêts et appareillés pour aider et payer leur seigneur. Et de toutes ces douces et courtoises réponses le duc de Bourgogne et la duchesse remercièrent grandement les consaux des bonnes villes de Flandre, et autant bien d’Artois et de Bourgogne.

À la taxation de ces rachats des seigneurs qui étoient à Venise, le roi de France vouloit grandement aider du sien ; et lui avoit jà coûté grand’somme de deniers à envoyer ces chevaliers en Honguerie et en Turquie ; mais quelques coûtages que faits en fussent, il ne les plaignoit point, puisque ses cousins étoient à Venise saufs et en bon point, et son chevalier messire Boucicaut.

En ce temps que le comte de Nevers étoit à Venise et gisoit là à l’ancre, et les autres seigneurs, ainsi que vous savez, car à faire les payemens et les finances si grands dont ils étoient endettés, ce ne sont pas choses légères à assembler ; car quoique les marchands de Jennèves et de Scie, se fussent obligés envers l’Amorath-Baquin à payer, si vouloient-ils bien savoir où ils prendroient leur acquit ; et aussi l’intention du comte de Nevers étoit telle que de là ils ne partiroient, si se tiendroient contentes toutes les parties. Et à ces finances et délivrances faire et diligenter sire Din de Responde mettoit grand’peine et diligence, pour plus complaire au roi de France et au duc de Bourgogne qui là l’avoient envoyé, car à telles choses faire il étoit moult subtil, et bien y savoit adresser mieux que nuls autres. Les seigneurs s’ébattoient l’un avecques l’autre, et passoient le temps et la saison au plus joyeusement comme ils pouvoient ; et leurs gens qui commis y étoient entendoient à leur délivrance le plus bref qu’il pouvoient.

En ce temps se bouta une mortalité très grande et périlleuse en la cité de Venise et là environ ; et commença dès le mois d’août, et dura tout ouniement jusques à la Saint-André, laquelle mortalité abattit et occit moult de peuple ; et mourut, dont ce fut dommage, messire Henry de Bar, ains-né fils au duc de Bar et héritier de par sa femme de toutes les terres que le sire de Coucy tenoit, réservé le douaire. Ainsi en celle saison furent les deux dames de Coucy, veuves de leurs deux maris, dont ce fut dommage. Si fut le corps de messire Henry de Bar embaumé et apporté en France ; et crois qu’il fut ensepveli à Paris, car là lui fut fait son service moult révéremment Pour cause et doutance de la mortalité et eschever les périls, se départit le comte de Nevers de Venise, et s’en vint demeurer à Trévise et là loger et tenir son hôtel ; et y fut plus de quatre mois.

Le comte de Nevers étant et demeurant à Trévise, ainsi que je vous dis, le roi de Honguerie, lequel étoit informé, par les seigneurs de Rhodes et par autrui, de tout son état, et comment il s’étoit apaisé devers l’Amorath moyennant deux cent mille florins qu’il devoit payer pour sa rançon, tant pour lui que pour les autres seigneurs de France qui demeurés étoient en vie, envoya devers son cousin le dit comte un évêque et de ses chevaliers, en cause et signifiance d’amour, et lettres et traités aussi moult certains devers les seigneurs de Venise lesquels en avoient le gouvernement ; et étoient chargés de par le roi de Honguerie, l’évêque et les dits chevaliers, de dire ainsi au dit comte et remontrer les pa-