Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/316

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
310
[1397]
CHRONIQUES DE J. FROISSART.

vant ses mains, et que à grand’peine on l’avoit porté coucher. On tint ces paroles en public au chastel et en la ville ; et bien le crurent les aucuns, et les autres non.

Dedans deux jours après, renommée fut que le duc de Glocestre étoit mort sur son lit au chastel de Calais ; et s’en vêtit le comte Maréchal de noir, pourtant qu’il étoit son cousin moult prochain ; et aussi firent tous chevaliers et écuyers qui en Calais étoient. Et s’épartirent plus tôt les nouvelles de la mort de Glocestre ès parties de France et de Flandre que en Angleterre. Si en furent moult de François réjouis, car commune renommée couroit que jà ne seroit bonne paix entre France et Angleterre, ni point d’amour n’y auroit, tant que ce duc de Glocestre fût en vie : et aussi aux traités qui tenus s’étoient par plusieurs fois entre les François et les Anglois il avoit été plus rebelle et contraire que nul de ses frères. Et pour la mort de lui cure n’avoit-on en France ; comment que ce fût, ils n’en faisoient compte. Pareillement en Angleterre, plusieurs hommes, chevaliers et écuyers, et officiers du roi, qui l’avoient douté et craint trop grandement pour ses crueuses et merveilleuses manières, furent tous réjouis de sa mort ; et furent entre ceux ramentus le duc d’Irlande lequel il avoit bouté hors d’Angleterre et envoyé en exil ; aussi messire Simon Burlé qui si vaillant chevalier et prud’homme avoit été, et servi le prince de Galles et le royaume d’Angleterre, et il l’avoit fait décoller et mourir honteusement ; et aussi messire Robert Trésilien, messire Nicolas Bramber, messire Jean Sandvich et plusieurs autres. Si en fut le dît duc de Glocestre moins plaint parmi Angleterre, fors de ceux lesquels avoient été de son conseil et opinion.

Le duc mort à Calais, il fut moult honorablement embaumé et mis en un vaissel de plomb et dessus couvert de bois, et envoyé en cel état par mer en Angleterre. Et arriva la nef qui apporta le corps dessous le chastel de Hadelée[1], sur la rivière de la Tamise, et de là amené par charroy tout simplement au chastel de Plaissy et mis en l’église, laquelle le dit duc avoit fait édifier et fonder en l’honneur de la sainte Trinité ; et là avoit mis douze chanoines qui moult dévotement y font le divin office ; et là fut ensepveli.

Vous devez savoir que la duchesse de Glocestre, et Offrem son fils et fils au dit duc dessus nommé, et leurs deux filles, furent moult déconfortés, et bien l’avoient où prendre, quand le duc de Glocestre leur sire et père fut là amené tout mort ; et encore doublement eut la dite duchesse grand courroux, car le comte Richard d’Arondel son oncle le roi Richard fit décoller publiquement en la rue de Cep[2] à Londres, Et n’osa nul haut baron d’Angleterre aller au devant ni conseiller le roi du contraire ; et fut le dit roi présent à celle justice faire ; et fut faite par le comte Maréchal qui avoit à femme la fille au comte d’Arondel, et il même lui banda les yeux.

Le comte de Warvich fut en grand’aventure à être aussi décollé, mais le comte de Salsebéry, qui moult bien étoit du roi, pria pour lui, et aussi firent autres barons, seigneurs et prélats d’Angleterre, et si acertes que le roi s’inclina à leur prière, mais il dit qu’il fût mis en tel lieu que jamais il ne vînt en place, car le roi ne lui vouloit point pardonner absolument son mesfait ; car bien avoit desservi mort quand il avoit été du conseil et accord, avecques le duc de Glocestre et le comte d’Arondel, de vouloir briser la paix et les trèves données, accordées et scellées entre les deux rois de France et d’Angleterre, leurs conjoins et adhérens, et que cet article étoit cas qui requéroit punition de mort honteuse, car les trèves étoient jurées et données par telle condition de l’un côté et de l’autre que, quiconque les enfreignoit ni conseilleroit enfreindre, il étoit digne à recevoir mort.

Le comte de Salsebéry, qui très espécialement prioit pour le comte de Warvich, car ils avoient été compagnons d’armes toujours ensemble, l’excusoît et disoit, que il étoit moult ancien, et que le comte d’Arondel et le duc de Glocestre l’avoient déçu par leurs paroles, et que celle affaire et péché, pour lequel ils étoient morts, n’avoient point été de son mouvement, mais par eux, et que oncques ceux de Beauchamp ne firent ni pensèrent trahison contre la couronne d’Angleterre, et que ce comte de Warvich étoit chef de ceux et des armes de Beauchamp, et descendoient tous ceux de Beauchamp du comte de Warvich. Le dit comte de Warvich, par pitié, fut respité de la mort et taxé à celle pénitence

  1. Hadleigh.
  2. Cheapside.