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LIVRE IV.

que je vous dirai. Il fut envoyé en l’isle de Wisque[1], qui est des tenures d’Angleterre, et lui fut dit ainsi : « Comte de Warvich, ce jugement va tout droit devant lui. Vous avez desservi mort telle que le comte d’Arondel a reçue ; mais les beaux services et grands que du temps passé vous avez faits au roi Édouard, de bonne mémoire, à monseigneur le prince son fils, à la couronne d’Angleterre, et deçà la mer comme par delà, vous aident bien ; et ont le roi et son conseil pitié de vous et vous rendent la vie ; mais il est ordonné et dit, par jugement et sentence, que vous entrerez en l’isle de Wisque, et là vivrez tant que vous pourrez ; et aurez assez du vôtre pour tenir votre état, ni jamais de là ne partirez ni istrez. »

Le comte de Warvich prit en bon gré celle punition, et en remercia le roi et son conseil quand ils lui respitoient la vie ; et ordonna ses besognes le plus brief qu’il put, car il y devoit être et entrer dedans un jour que on lui assigna ; il y fut et une partie de son état. L’île de Wisque est environnée de la mer, et sied à l’encontre de Normandie ; et y a assez lieu et place pour demeurer un seigneur, mais il faut qu’il soit servi et administré des terres voisines, autrement il ne se pourroit point étoffer. Ainsi se portèrent ce jugement et les ordonnances en Angleterre qui se multiplièrent toujours en pis, ainsi que vous orrez recorder avant en l’histoire.

Quand la connoissance fut venue au duc de Lancastre et au duc d’Yorch que le duc de Glocestre, leur frère, étoit mort à Calais, tantôt ils imaginèrent que le roi, leur neveu, l’avoit fait mourir. Pour ces jours ils n’étoient pas ensemble, mais se tenoient l’un çà et l’autre là en leurs places et manoirs, selon la coutume d’Angleterre. Si escripsirent l’un à l’autre à savoir comment ils s’en cheviroient ; et vinrent à Londres, pourtant que bien ils savoient que les Londriens étoient moult courroucés de la mort du duc leur frère. Quand ils furent là venus, ils eurent parlement ensemble ; et dirent que ce ne faisoit pas à souffrir que d’avoir mort et meurtri leur frère, un si haut prince et vaillant que le duc de Glocestre, pour paroles oiseuses ; car voirement, quoique il eût parlé volagement de chaud sang à l’encontre des trèves données et scellées entre France et Angleterre, sï n’en avoit point ouvré de fait, et que entre faire et dire a trop grand’différence, ni point pour paroles il ne pouvoit desservir mort ni punition si crueuse ; et dirent que il convenoit que il fût amendé. Et furent les deux frères sur un état que pour troubler toute Angleterre, car bien avoit qui leur conseilloit, et par espécial le lignage du comte d’Arondel lequel est moult grand et fort en Angleterre, et cil aussi du comte d’Estaford.

Le roi d’Angleterre, pour ces jours, se tenoit à Eltem, et avoit mandé et semons tous hommes de fief qui de lui tenoient et qui foi lui devoient ; et avoit amassé et pourvu autour de Londres et en la comté de Kent et en Souxesses plus de dix mille archers ; et avoit son frère, messire Jean de Hollande, de-lez lui, le comte Maréchal, le comte de Salsebéry, et grand nombre de chevaliers et barons d’Angleterre ; et manda aux Londriens que point ne recueillissent le duc de Lancastre. Les Londriens répondirent à ce et dirent que ils ne savoient choses au duc de Lancastre pourquoi ils le dussent refuser. Et demeura le duc de Lancastre à Londres, et le comte de Derby, son fils, et aussi le duc d’Yorch, lequel avoit un fils qui se nommoit Jean et comte de Rostellant, et étoit si bien du roi que nul mieux ; et l’aimoit le dit roi avec le comte Maréchal outre mesure. Et le comte de Rostellant se dissimuloit grandement de la mort son oncle le duc de Glocestre, et montroit assez que il eût volontiers vu que paix fût entre toutes parties ; et disoit bien que son oncle avoit eu tort en plusieurs cas devers le roi son cousin. Les Londriens pareillement considéroient le grand meschef qui pouvoit venir en Angleterre par la dissension des oncles du roi et des alliances des uns et des autres, et regardoient, puisque ce meschef étoit advenu, on ne le pouvoit recouvrer, et que le duc de Glocestre en aucune manière en avoit été cause par trop parler, et vouloir émouvoir tout le royaume à rompre et briser les trèves qui données, jurées et scellées étoient entre France et Angleterre. Et dissimulèrent grandement les Londriens ; et virent les plus sages que ce ne faisoit pas à amender pour le présent. Et doutèrent le roi de France et sa puissance, et leurs marchandises à perdre. Si commencèrent à traiter, et aller par cause de moyen entre le roi d’Angleterre et le duc de Lancastre, lequel eut

  1. Wight.