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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

aussi plusieurs imaginations, car la mort de son frère lui tournoit à grand’déplaisance. Aussi il véoit que le roi Richard, son neveu, étoit par mariage grandement allié au roi de France, car il avoit à femme sa fille, et avoit le dit duc deux de ses filles par de là la mer, l’une roine d’Espaigne et l’autre de Portingal, qui pouvoient très grandement moins valoir des François s’il émouvoit guerre à l’encontre du roi son nepveu. Et convint adonc le dit duc briser son courage, voulsist ou non, de toutes choses, et descendre à la prière des Londriens et aucuns prélats d’Angleterre qui de ce s’entremettoient en bien, comme bons moyens entre le roi d’Angleterre et ses oncles. Et vint le roi à accord et à paix, parmi tant qu’il promit que, de ce jour en avant, il s’ordonneroit tout entièrement par le duc de Lancastre, et ne feroit rien hors de son conseil. Mais de celle parole et promesse il ne fit rien, et se mes-usa plus après que devant, et se laissa forconseiller de mauvais conseil ; dont trop grandement il lui meschéy, ainsi que vous orrez recorder avant en l’histoire.

Ainsi vint le roi d’Angleterre à paix à ses oncles de la mort du duc de Glocestre, et commença à régner plus fièrement que devant ; et s’en vint tenir son état en la comté d’Escesses qui terre et pays avoit été au duc de Glocestre et devoit être à son fils Offrem, héritier de la dite terre ; mais le roi prit tout en saisine par devers lui ; et l’ordonnance est en Angleterre que le roi a en garde tous les héritages des enfans qui demeurent orphelins de père dessous l’âge de vingt et un an, et puis leur sont rendus leurs héritages. Le roi Richard prit la garde de son cousin et héritier de Glocestre et attribua toutes ses terres et possessions à son profit, et mit Offrem, le jeune héritier, demeurer de-lez lui, et la duchesse de Glocestre et ses deux filles de-lez sa femme la roine. Le duc de Glocestre, en son vivant, étoit de son droit héritage connétable d’Angleterre ; mais il ôta cet office et ce droit à l’héritier et le donna au comte de Rostellant son cousin. Et commença le dit roi à tenir si grand état que oncques avoit eu roi en Angleterre, qui à cent mille nobles par an dépendit, tant que le dit roi faisoit. Et tenoit pareillement avecques lui l’héritier d’Arondel fils au comte d’Arondel, lequel il avoit fait décoller à Londres, ainsi que ci-dessus est dit. Et pour ce que un des chevaliers du duc de Glocestre, qui se nommoit Cerbet, en parla une fois trop avant à l’encontre du roi et de son conseil, il fut pris et tantôt décollé. Messire Jean Lacquînay en fut aussi en grand péril ; mais quand il vit que les choses se portoient diversement, il dissimula le mieux qu’il put et sçut, et se départit de l’hôtel de la duchesse de Glocestre sa dame, et alla leurs faire sa demeure.

En ce temps n’y avoit si grand en Angleterre qui osât parler de chose que le roi fît ni voulsist faire ; et il avoit conseil propre pour lui, et chevaliers de sa chambre qui l’enhortoient à faire tout ce qu’ils vouloient ; et tenoit le roi à ses gages et à délivrance bien deux mille archers qui continuellement nuit et jour le gardoient[1], car il ne se tenoit pas bien assuré de ses oncles ni de ceux du lignage du comte d’Arondel.


CHAPITRE LXII.

De la grand’assemblée qui fut faite en la ville de Rheims, tant de l’empire d’Allemagne comme du royaume de France sur l’état et union de sainte Église.


En ce temps se fit une grand’assemblée de seigneurs en la cite de Rheims, tant de l’empire d’Allemagne que du royaume de France ; et fut la cause telle que pour mettre l’église en union. Et fit tant le roi de France par prières et par moyens que le roi d’Allemagne[2], son cousin, vint à Rheims atout son conseil[3]. Et pour ce que on ne voult pas donner à entendre généralement que celle assemblée se fit tant seulement pour parler des papes, de celui qui se tenoit à Rome et de celui qui se tenoit en Avignon, les

  1. Cette tyrannie, née de la peur, qui rendit le roi Richard si odieux, a excité les plaintes de tous les poètes et prosateurs du temps. On trouve dans la Chronique métrique de Hardinge quelques vers sur cette manie du roi qui s’était composé une garde d’hommes du comté de Chester éternellement en permanence auprès de lui et devenus comme une sorte de gardes du corps. Richard fut en effet accusé par le parlement d’avoir appelé autour de lui des malfaiteurs du comté de Chester, qui, en traversant le royaume avec lui, battaient, blessaient, pillaient et tuaient les gens, et refusaient de payer ce qu’ils prenaient.
  2. Wenceslas de Luxembourg.
  3. Cette même année, Charles VI reçut une ambassade de Manuel, empereur de Constantinople, qui lui demandait du secours contre les Turcs qui menaçaient d’anéantir les Grecs. (Voyez sa lettre dans l’Anonyme de Saint-Denis, page 1397), et une autre ambassade de Bajazet lui-même.