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LIVRE IV.

que chacun soit prêt, car je ne vueil pas fuir devant mes sujets. » — « Par Dieu ! dirent les chevaliers, sire, la besogne va mal, car vos gens vous laissent et défuient. Vous en avez jà bien perdu la moitié, et encore véons-nous le demourant tout ébahi et perdre contenance. » — « Et que voulez-vous donc, dit le roi, que je fasse ? » — « Nous le vous dirons, sire ; vous laisserez les champs, car vous ne les pouvez tenir, et entrerez en un chastel, et là vous tiendrez jusques à tant que messire Jean de Hollande, votre frère, qui est courageux et chevalereux assez sera venu, car il sait ores nouvelles ; et lui venu par deçà, il s’ordonnera tellement, soit par force de gens d’armes et d’archers ou par traité, que vos besognes seront en autre état que elles ne sont pour le présent ; car quand on le sentira chevaucher sur les champs, tel se diffère de vous qui se boutera en sa route. » À tout ce conseil s’accorda le roi.

Pour ces jours le comte de Salsebéry n’étoit pas de-lez le roi, mais étoit autre part bien en sus ; et quand il ouït dire l’état d’Angleterre, et que le comte Derby chevauchoit à puissance avecques les Londriens contre le roi, il imagina tantôt que les choses alloient mal et gisoient en grand péril pour lui et pour le roi, et pour ceux par quel conseil il avoit ouvré jusques à ores. Si se tint tout coi tant que il auroit autres nouvelles. Le duc d’Yorch, oncle du roi, n’étoit pas en sa chevauchée ni avoit été, mais son fils, le comte de Rostellant, y avoit toujours été pour deux raisons ; l’une étoit que le roi l’aimoit souverainement, et l’autre pour ce que il étoit connétable d’Angleterre. Si que parce droit il convenoit qu’il fût en la chevauchée.

Secondes nouvelles vinrent au roi, ainsi qu’il avoit soupé ; et lui fut dit : « Sire, il convient que vous ayez avis comment vous vous voudrez ordonner. Votre puissance est nulle contre celle qui vient sur vous. Tant que à la bataille, pour le présent vous n’y feriez rien. Il faut que vous issiez d’ici par sens et par bon conseil, et que vous apaisiez, si vous pouvez, vos malveillans, ainsi que autre fois avez fait, et puis les corrigez tout par loisir. Il y a un chastel à douze milles d’ici, qui se nomme Flitch[1], lequel est assez fort. Nous vous conseillons que vous tirez celle part et vous encloyez dedans, et y tenez tant que vous orrez autres nouvelles du comte de Hostidonne et de vos amis ; et on envoyera en Irlande et partout au secours ; et si le roi de France, votre beau-père, sait que vous ayez à faire, il vous confortera. »

Le roi entendit à ce conseil, et lui sembla bon ; et ordonna ceux que il vouloit que ils chevauchassent ce chemin avecques lui ; et ordonna son cousin de Rostellant à demeurer à Bristol et ainsi tous les autres ; et que chacun fût pourvu de traire avant, quand nouvelles viendroient que ils seroient forts assez pour combattre leurs ennemis. Tous tinrent celle ordonnance, et quand ce vint au matin, le roi et son hôtel tant seulement se mirent au chemin et se trairent vers le chastel de Flinth[2], et se boutèrent dedans ; et ne montrèrent pas que ils voulsissent faire guerre, fors eux tenir et garder là dedans, et défendre le lieu si on les vouloit assaillir.

CHAPITRE LXXV.

Comment le roi Richard se rendit au comte Derby pour venir à Londres.


Le comte Derby et les Londriens avoient leurs espies allans et venans qui leur rapportoient tout l’état du roi ; et aussi chevaliers et écuyers qui se venoient rendre au comte Derby de leur volonté. Nouvelles vinrent au dit comte et à son conseil, que le roi étoit retrait et enfermé au chastel de Flinth, et n’avoit pas grands gens avecques lui, fors que son hôtel tant seulement ; et ne montroit pas que il voulsist la guerre ni la bataille, fors à issir de ce danger, si il pouvoit par le traité. Conseillé fut tantôt de chevaucher celle part, eux là venus, faire tant que on l’eût par force ou autrement. Donc chevauchèrent le comte de Derby et sa route devant la place et le chastel dessus nommé ; et tant que ils l’approchèrent. Quand ils furent ainsi que à deux petites lieues près, ils trouvèrent un grand village. Si s’arrêta là le comte de Derby, et mangea et but un coup ; et eut conseil de soi-même et non d’autrui que il chevaucheroit devant à deux cens chevaux, et laisseroit tout le demeurant derrière ; et lui venu au chastel où le roi étoit, il feroit tant par traité, si il pouvoit, qu’il entreroit dedans par amour non par force ; et met-

  1. Ce n’est pas du château de Flinth, mais du château de Conway que Froissart veut parler.
  2. Lisez Conway-Castle.