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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

troit hors le roi par douces paroles ; et l’assureroit de tous périls fors de venir à Londres ; et encore lui promettroit-il que de son corps il n’auroit mal, et seroit pour lui moyen envers les Londriens qui trop forts étoient courroucés sur lui.

Ce conseil et avis que le comte dit, sembla bon à ceux à qui les paroles furent adressées, fors tant que il fut là dit au comte : « Sire, gardez bien que en ces choses il n’ait nulle dissimulation ; car il faut que Richard de Bordeaux soit pris, mort ou vif, et tous les traîtres qui l’ont conseillé, et amené à Londres, et mis en la tour. Les Londriens ne pourroient point souffrir le contraire. » Donc répondit le comte de Derby, et dit : « Nennil, ne vous doutez en rien. Tout ce qui est empris à faire sera fait ; mais si je le puis par douces paroles mettre hors du chastel où il est retrait et enclos, je le ferai ; et si je ne puis, et que point ne me veuille croire, tantôt et sur heure je le vous signifierai ; vous viendrez ; et là nous bâtirons le siége ; et ferons tant par force et par assaut, car la place est bien prenable, que nous l’aurons mort ou vif. »

À celle dernière parole s’accordèrent les Londriens. Donc se départit le comte de Derby de la grosse route, et chevaucha à deux cens hommes tant seulement ; et furent tantôt venus devant le chastel où le roi Richard étoit, et dedans une chambre, entre ses gens et tout ébahi. Le comte de Derby et sa route descendirent devant la porte du chastel, laquelle étoit close et fermée, car le cas le requéroit. Le comte vint jusques à la porte et fit buquier grands coups. Ceux qui dedans étoient demandèrent : « Qui est là ? » Le comte Derby répondit à la parole et dit : « Je suis Henry de Lancastre, qui viens relever au roi mon héritage de la duché de Lancastre. On lui dise ainsi de par moi. » — « Monseigneur, répondirent ceux qui l’ouïrent, nous lui dirons volontiers. » Tantôt ils montèrent amont en la salle et au dongeon où le roi étoit, et ses chevaliers qui gouverné et conseillé un long-temps l’avoient de-lez lui. Si lui dirent ces nouvelles, car il les voult ouïr et savoir : « Sire, c’est votre cousin le comte de Derby qui vient relever son héritage de Lancastre à vous. » Le roi regarda sus ces chevaliers, et demanda quelle chose en étoit bonne à faire. Ils répondirent : « Sire, en celle requête n’a que tout bien ; vous le pouvez bien faire venir à vous, lui douzième tant seulement, et ouïr quelle chose il veut dire. C’est votre cousin et un grand seigneur en votre pays. Il vous peut bien accorder si il veut, car il est moult grandement aimé au royaume d’Angleterre, et par espécial des Londriens qui l’ont remandé de là la mer, et lesquels l’ont si fort élevé présentement à l’encontre de vous. Si vous faut dissimuler tant que ces choses soient apaisées, et que le comte de Hostidonne, votre frère, soit de-lez vous ; et mal vous vient à point et à lui aussi de ce que il est à Calais ; car tel en Angleterre se relève et vous défait que, si ils le sentoient de-lez vous, ils se tiendroient tout cois et ne vous oseroient courroucer. Jà a-t-il la serour de votre cousin Derby à femme ; et par le moyen de lui et de ses paroles, nous espérons et supposons que vous viendrez à paix et à accord partout. »

Le roi s’inclina à ces paroles et dit : « Allez-le quérir et lui faites ouvrir la porte et entrer dedans, lui douzième tant seulement. » Deux chevaliers se départirent du roi et vinrent bas en la place du chastel et jusques à la porte ; et firent ouvrir le guichet ; et issirent hors et inclinèrent le comte Derby et ses chevaliers qui là étoient ; et les conjouirent de paroles assez gracieuses, car ils virent bien que la force n’étoit pas à eux ; et si se sentoient grandement mesfaits et avoir courroucé les Londriens. Si vouloient tout remettre à point par belles paroles aournées de semblant, si ils pouvoient. Et demandèrent au comte en disant : « Monseigneur, quelle chose vous plaît ? le roi est à la messe, il nous a ci envoyés parler à vous. » — « Je le vous dirai, répondit le comte ; vous savez que j’ai à relever la duché de Lancastre ; si viens en partie pour cela et pour autres choses parler au roi. » — « Monseigneur, répondirent cils, vous soyez le bien-venu. Le roi vous verra volontiers et orra aussi ; et nous a dit que vous venez, vous douzième tant seulement. » Le comte répondit : « Il me plaît. » Il entra au chastel, lui douzième ; et puis tantôt on referma le guichet et demeurèrent tous les autres dehors. Or considérez le péril et le grand danger où le comte Derby se mit adonc, car on l’eût aussi aisé occis[1] là dedans, et toute sa compa-

  1. Les manuscrits qui ont servi aux éditions précédentes