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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

qui est dehors Londres ; et audit parlement furent assemblés tous les prélats et clergés du royaume d’Angleterre la plus grande partie. Et eu après y furent tous les ducs, comtes et nobles du dit royaume ; et aussi le commun de chacune ville, une quantité de gens selon ce que les villes étoient. Et là fut tout le dit peuple assemblé à Westmoustier, ce mardi devant dit, présens le duc de Lancastre et ses gens. Et là chalenge le dit duc Henry de Lancastre le dit royaume d’Angleterre, et requit à être roi par trois manières de cas. Premièrement par conquête ; secondement parce qu’il se dîsoit être droit hoir ; tiercement par ce que le roi Richard de Bordeaux lui avoit résigné le royaume en sa main de pure et libérale volonté, présens prélats, ducs et comtes en la salle de la grand’tour de Londres[1].

Ces trois cas remontrés, requit le duc Henry de Lancastre à tout le peuple d’Angleterre qui fut là, que de ce ils disent leur bonne volonté. Et en présent répondit ledit peuple, tout d’une voix, que c’étoit bien leur volonté qu’il fût leur roi, et ne vouloient avoir autre que lui. Et encore, ensuivant ce propos, requit et demanda le dit duc au dit peuple par deux fois, si c’étoit bien leur volonté ; et ils répondirent tous d’une voix « Oyl. » Et là en présent, s’assit le duc Henry au siége royal, lequel siége étoit haut élevé en-my la salle ; et étoit le siége couvert tout d’un drap d’or et à ciel dessus, si que tous ceux qui là étoient le pouvoient bien voir. Et en présent que le duc fut assis au dit siége, tout le peuple tendit les mains contre mont en lui promettant foi et faisant grand’liesse. Et lors fut ce parlement conclu, et fut journée assignée de son couronnement, le jour Saint-Édouard qui fut le lundi treizième jour d’octobre. Et le samedi devant le jour de son couronnement, il se départit de Westmoustier et s’en alla au chastel de Londres atout grand’gent ; et celle nuit veillèrent tous les écuyers qui devoient être faits chevaliers le lendemain. Et furent le nombre de quarante six, et eurent tous ces écuyers chacun sa chambre et chacun son bain où ils se baignèrent[2] celle nuit ; et à lendemain, le duc de Lancastre les fit chevaliers à sa messe, et leur donna longues cottes vertes à étroites manches fourrées de menu vair en guise de prélats ; et avoient ledits chevaliers sur la senestre épaule un double cordel de soie blanche à blanches houpettes pendans. Et se départit le duc de Lancastre celui dimanche après dîner du chastel de Londres pour venir à Westmoustier ; et étoit en pur le chef ; et avoit en son col la devise du roi de France[3] ; et étoit accompagné du prince son fils, de six ducs, six comtes, dix-huit barons, et la somme toute de huit à neuf cents chevaliers en sa compagnie. Et avoit adonc vêtu le roi un court jacque d’un drap d’or à la façon d’Allemagne ; et étoit monté sur un blanc coursier ; et avoit le bleu gertier en la senestre jambe. Et vint le dit duc tout parmi la ville de Londres et grand nombre de seigneurs, vêtus leurs gens chacun de sa livrée et devise ; et tous les bourgeois et Lombards marchands de Londres[4], et tous les grands maîtres, chacun métier orné et paré de sa devise, en convoyant ledit duc jusques à Westmoustier. Et furent le nombre de six mille chevaux. Et furent les rues, ledit jour, là où ledit duc passa, couvertes et parées en plusieurs manières de paremens ; et eut celui jour, et autre après, neuf brocherons de fontaines en Cep[5] à Londres, courans par plusieurs conduits, blanc vin et vermeil.

Item, à la nuit fut baigné le duc de Lancastre ; et à lendemain, sitôt qu’il fut levé, il se confessa[6] et ouït trois messes, ainsi que accou-

  1. Voici les paroles de Henri de Lancastre, telles qu’elles sont rapportées par le moine d’Evesham :

    « Ego Henricus dux, et legitimus heres domino (sic) Johannis ducis Lancastriæ venerandi patris mei, in nomine Patri et Filii et Spiritus, sanctis, istum tronum regium, jam vacantem, coronam, et regnum, cum omnibus membris et pertinentiis suis, universis et singulis, mihi, proximo heredi, jure hereditario, in lineâ rectâ descendentia (sic) à nobili rege Henrico tertio, debitè clamo, assumo et cumdem assumi (sic).

  2. Richard II avait créé l’ordre des chevaliers du Bain, et en avait fixé le nombre à quatre. Henri IV créa vingt-cinq nouveaux chevaliers de cet ordre, à l’occasion de son couronnement. Cet ordre, renouvelé par Georges Ier, ne se confère guère qu’à l’époque du sacre du roi d’Angleterre. L’usage du bain, comme signe de pureté avant de conférer l’ordre de chevalerie, était fort ancien dans les autres pays de l’Europe. (Voyez Lacurne Sainte-Palaie, Mémoire sur la chevalerie.)
  3. Celle que le roi de France lui avait donnée en signe d’amitié pendant son exil à Paris.
  4. Les Lombards étaient encore à Paris et à Londres les principaux banquiers et négocians.
  5. Cheapside.
  6. L’ancien manuscrit ajoute : Car il en avait bien mé-