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LIVRE IV.

que les consaulx des cités de Bordeaux, de Dax et de Bayonne envoyèrent hommes en la cité d’Agen. Le duc les recueillit grandement et de paroles aournées toutes farcies de promesses ; et leur donna à entendre, si ils se vouloient tourner François et venir en l’obéissance du roi de France, le roi leur accorderoit tout ce que demander voudroient, et leur scelleroit à tenir à perpétuité. Et quand ils viendroient en France ou à Paris, de toutes leurs requêtes et tantôt expédiés seroient ; et moult de choses leur promit à tenir, à jurer et à sceller ; et tant qu’ils en répondirent et dirent : que eux revenus ès cités dessus nommées, ils remontreroient ce au peuple, et auroient conseil et avis de ce faire. Et sur cel état ils se départirent d’Agen et du duc de Bourbon, et retournèrent chacun sur son lieu ; et remontrèrent à ceux auxquels il appartenoit en parler les traités du duc de Bourbon. Lesquels se dérompirent et allèrent tout à néant, car les communautés des cités dessus nommées considérèrent leurs affaires, et comment le royaume de France étoit vexé et molesté de tailles, de fouages et de toutes exactions vilaines dont on pouvoit extorquer argent ; si dirent ainsi : « Si les François dominoient sur nous ils nous tiendroient en ces usages. Encore nous vaut-il mieux être Anglois, quand nous sommes ainsi nés, qui nous tiennent francs et libéraux, que en la subjection des François. Si les Londriens ont déposé le roi Richard et couronné le roi Henry, que nous touche cela ? toujours avons-nous roi. Et nous avons entendu que l’évêque de Londres et messire Thomas de Percy seront bref ici. Si nous informeront de la vérité. Nous avons plus de marchandises, de vins, de laines et de draps aux Anglois, que nous n’avons aux François ; et si nous y inclinons par nature mieux. Gardons que nous fassions traité nul dont nous nous puissions repentir. »

Ainsi se rompirent les traités de Bordelois, des Daxois et des Bayonnois aux François ; ni rien n’en fut fait. Aussi l’évêque de Londres et messire Thomas de Percy, et leur charge de gens d’armes et d’archers, arrivèrent au hâvre de Bordeaux ; dont moult de gens furent réjouis, et aucuns courroucés qui vouloient tenir les partis du roi de France. Et se logèrent ces seigneurs d’Angleterre tous ensemble à l’abbaye de Saint-Andrieu ; et quand ils virent que, point et heure fut, ils remontrèrent à la communauté de Bordeaux l’état d’Angleterre, et ce pourquoi ils étoient venus ; et firent tant que tous se apaisèrent et contentèrent ; et aussi à Dax et à Bayonne. Si demeurèrent ces cités, et toutes les appendances, Angloises. Trop y auroit à faire à les tourner Françoises[1].

Avisé et conseillé fut en France, en l’hôtel du roi, pourtant que on le véoit moult désolé et courroucé de l’aventure laquelle étoit prise à son fils le roi Richard, qu’ils envoyeroient en Angleterre de par le roi aucun seigneur notable et prudent pour voir et savoir l’état de la roine. Si furent priés et chargés de là aller, messire Charles de la Breth et Charles de Hangiers, lesquels au commandement et ordonnance du roi obéirent volontiers. Et ordonnèrent leurs besognes et se départirent de Paris ; et cheminèrent tant qu’ils vinrent à Boulogne ; et là s’arrêtèrent, car ils avoient envoyé un héraut parler au roi Henry ; car sans assurances, quoique trèves fussent entre France et Angleterre, ils ne s’y fussent point volontiers boutés. Le roi Henry, qui moult se sentoit tenu au roi de France, parla à son conseil, car il ne faisoit rien sans conseil. Accordé fut et dit au héraut françois que ce étoit bien la plaisance et volonté du roi et de son conseil que eux et leur compagnie vinssent en Angleterre et tout droit le chemin devers le roi, sans traire ailleurs fors que par congé.

Le héraut françois retourna à Boulogne et dit à ces seigneurs tout ce qu’il avoit impétré. Il leur plut assez bien, puisque autre chose n’en pouvoient avoir. Et firent équipper leurs chevaux en deux vaisseaux passagers, et puis entrèrent ès nefs et prirent le parfont ; et nagèrent tant par l’effort de vent qu’ils vinrent au port de Douvres. Si issirent des vaisseaux et entrèrent en la ville, et trouvèrent un des chevaliers du roi d’Angleterre, que le roi avoit là envoyé pour eux recueillir et conjouir qui les reçut ; et autrefois l’avoient-ils vu à Paris de-lez le roi Henry ; et en furent plutôt accointés messire Charles de la Breth et le sire de Hangiers. Et furent logés en la ville de Douvres bien et honorablement. Et séjournèrent là tant que leurs chevaux fussent traits hors des vaisseaux et rafreschis, et puis montèrent sus et chevauchèrent vers Cantorbie.

  1. Cinquante ans après, le contraire était vrai.