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RÉDACTION PRIMITIVE

comme vous orez en ceste istoire, s’ascouter le volez.

CHAPITRE II.

Certaine chose est, et telle est li oppinion des Englès, et par expérience on a veu advenir en Engleterre, que, après un vaillant roy, on a veu ensievir ung mains vaillant. Et il s’apparu bien par chils bons rois Édouart qui tant eut à faire aux Danois et aux Escos et les desconfist pluiseurs fois en bataille. Ses fils, qui fu secons Édouwart, ne fue mie si vaillans, ne plains de si grant prudence, mais gouverna le royalme nicement et simplement, par mauvais conseil, dont il lui mesquéy depuis. Car assez tost après qu’il fu couronnez, ly rois Robert de Breux qui estoit rois d’Escoce, qui tant avoit guerroié à son père, reconquist toutes les villes et chasteaux qui avoient en Escoce esté soubz lui conquises du roy Édouars, père à celui roy dont nous parlons, et aveuc ce si gasta et essilla plus de quatre journées du royalme d’Engleterre, et desconfist celui roy Édouart par bataille en Escoce, devant un chastel c’on appelle Estroumelin. Et là fu morte ou prinse toute la fleur de la chevalerie d’Engleterre. Et s’en refuy en Engleterre, à tout ce qu’il avoit de gens. Se vint à Londres. Si fu moult depubliez des gens de son pays ; et disoit-on communalsment qu’il avoit rechupt ce dommage par le malvais conseil qu’il avoit.

CHAPITRE III.

Chils rois Édouars qui fu père à celui roy Édouart, avoit deux frères de remariage, desquelx li uns estoit appeliez le conte Marissal, et estoit de moult salvage et diverse manière ; ly aultre avoit nom messire Aymon, et estoit conte de Kent. Chilz estoit sages, doulx et débonnaires et bien amez des bonnes gens d’Engleterre. Chilz rois Édouars estoit mariez en France à la fille du beau roy Phelippe ; se li avoit ly rois donnée par envie, si comme on disoit, pourtant que ly conte Guy de Flandres, qui régnoit pour le temps, lui avoit volu donner sa fille sans le congié du roy de France, car il lui desplaisoit qu’il se voloit aloyer aux Englès. Et quant le dit roy seut que le mariage s’aprocha, il manda au conte de Flandres qu’il lui envoiast sa fille qui sa filleulle estoit ; et le conte, qui nul mal ny pensoit, luy envoya ; et quant ly rois Philippe l’eut, il le mist en prison, par telle manière c’onques puis ne rentra en Flandres. Pour laquelle advenue moult de batailles se firent en Flandres et en France, et en advint la grosse bataille de Courtray où il eut mort maint vaillant homme et desconfit. Or maria chilz beaux rois Phelippe sa fille Ysabel au roy d’Engleterre ; si lui donna en mariage le conté de Pontieu ; et de celle dame issurent quatre enfans, deux fils et deux filles. Ly fils aisnez eut nom Édouart, qui tant fu vaillans hons et sur quoy ceste istoire est commenchie. Ly seconds eut à nom Jehan de Guent et morut josnes. Des damoiselles, ly une eut à nom Ysabel, si fu roynne d’Escoche et eut à mary le roy David d’Escoce, fils du roy Robert de Breux ; et lui fu donnée par paix faisant ; et ly aultre eut le duc de Guerles. Si en ot deux fils et deux filles : messire Évrart et messire Édouars qui tant fu bon chevalier ; et de ses deux filles l’une eut le conte de Clèves et l’autre le comte de Jullers.

CHAPITRE IV.

Encores pour mieulx esclarcir ceste noble matière et la declaracion des linages, je me veul un petit ensonnier dont issy ly rois Édouars qui assega Tournay, et comment il estoit prochains à la couronne de France. Il descendy, de par le femelle, de droite lingne ; car ly beaux rois Phelippe fu ses tayons, qui eut trois fils et une fille ; et furent chil trois fils bel gent et puissans chevaliers. Ly aisnez eut à nom Loys et fu à son temps roy de Navarre, et l’appela on le roy Hustin ; le second eut à nom Phelippe-le-Beau et le tiers eut à nom Charles. Et furent tous trois roy de France après la mort de leur père, par droicte succession, sans avoir hoir de leur char par mariage qui fussent masles. Si que, après la mort du derrain roy Charles, ly per de France et ly baron donnèrent la couronne à leur advis, et non mie à la seur d’iaux, qui estoit royne d’Engleterre, pour tant qu’il voloient dire et maintenir, et encores font : que le royalme de France est si noble qu’il ne doit point aler à fumelle, ne par conséquent à fil de fumelle, ne de par sa mère venir là où sa mère ne peut avoir nul droit. Si que, par ces raisons les douze pers et les barons donnèrent de certain acord le royalme et la couronne de France, en plain palaiz à Paris, à monseigneur Phelippe de Valois, cousin germain à