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RÉDACTION PRIMITIVE

femme moult honnourablement et liement rechurent la royne d’Engleterre ; pourquoy depuis, les fils du chevalier furent moult amé et avanchié de la royne et du roy son enfant qu’elle avoit avec luy.

CHAPITRE XI.

Sachiés que la venue de la roynne d’Engleterre estoit jà sceue en Haynnau, en l’ostel du bon conte Guillaume, qui lors se tenoit et demouroit à Valenchiennes, et messire Jehan de Haynnau son frère de lez luy. Et sceurent qu’elle estoit en l’ostel du seigneur d’Aubercicourt. Adont messire Jehan, qui moult estoit désirans d’aquérir pris et honneur, monta esramment, à belle compagnie, et s’en vint à Bougnicourt, et là trouva la roynne. Si luy fist toute révérence et honneur, comme à luy appartenoit ; et la dame, qui moult estoit triste et esgarée, se commencha, en plourant forment, à complaindre et remonstrer toutes ses doleurs et mesavenues ; et comment elle estoit decacie d’Engleterre, son fil en sa compaignie, et venue en France sur l’espoir de l’ayde du roy son frère ; et comment elle cuidoit estre toute pourveue de gens d’armes du royalme de France et d’ailleurs ; et comment son frère le roy estoit retournés et consilliés au contraire. Et li conta comment et à quel meschief elle estoit là afuye avec son fil, comme celle qui ne savoit à qui ne en quel pays plus retraire pour trouver confort ne ayde.

CHAPITRE XII.

Et quant le gentil chevalier, messire Jehan de Haynnau, eut oy la royne ainsi piteusement complaindre, si tenrement plourant que toute fondoit en larmes, si l’en prist grant pitié ; et lui dist moult doucement : « Certes, madame, vechy vostre chevalier, qui ne vous faulra point, pour chose que avenir lui puist, non pour morir, se tout le monde vous falloit. Ains feray tout mon povoir de vous et vostre fil remettre en Engleterre en vostre bon estat, s’il plaist à Dieu, sans le dangier du roy de France. Et ce que je vous ay convent, je vous tenray. » Et quant la dame l’eut ainsi oy parler, elle se voult mectre à jenoulx devant le bon chevalier qui ce ly prometoit ; mais le gentil sire de Beaumont ne l’euist jamais souffert ; ains prist moult apertement la dame entre ses bras, et dist : « Ne plaise à Dieu que la roynne d’Engleterre face tel chose devant moy ! » Mais lui dist : « Madame, venez devers monseigneur mon frère, le comte de Haynnau, et madame la contesse et leurs beaux enfans qui vous receveront à grant joie. » Et la dame lui octria et lui dist : « Sire, je treuve plus d’amour en vous qu’en tout le monde ; et de ce vous rends cinq cens merchis. Et se vous le me faictes, je doy estre vo serve, et mon fil vo serf à tous jours mais. Si nous metterons le royalme d’Engleterre à vostre habandon et volenté. » Dont ly dist le gentil chevalier, qui estoit en la fleur de son eage : « Certes, ma très chierre dame, se je ne le volois faire, je ne le vous prometeroie point ; mais je le vous ay promis, si ne vous en fauray, pour chose qui advenir me puist. » Après ce parlement, messire Jehan de Haynnau prist congié à la roynne, à son fil et à leur compagnie, et s’en revint au giste à Denaing. Si se herberga en l’abbéie, et lendemain, après la messe et boire, se monta à cheval et s’en revint devers la roynne, qui à grant joie le rechut et avoit jà apparilliet pour monter quant il vint.

CHAPITRE XIII.

Lors se party la royne du chastel de Bougnicourt, et prist congié au chevalier et à la dame ; et leur dist, en eulx remerchiant la bonne chierre que fait lui avoient : que, au plaisir Dieu, ung temps venroit qui lui souvenroit de le grant courtoisie que fait lui avoient. Ainsi se party, à la compaignie du seigneur de Beaumont, qui joieusement le mena à Valenchiennes. Et encore ly vinrent au devant plenté de seigneurs et de bourgois de la ville, bien ricement parés, qui grant honneur li firent. Et ainsi fu menée devers le bon conte Guillaume, qui à grant joie le rechut, et ossi fist la contesse. Adont avoit le bon conte quatre filles : Margueritte, Phelippe, Jehanne et Ysabel. À la quelle Phelippe celui josne Édouart s’adonnoit le plus et enclinoit du regart et d’amour, et aussi la josne fille li compaignoit plus que nulle de ses seurs. Ainsi l’oy-je recorder pour vray. Ainsi trouva la royne d’Engleterre conseil et confort à monseigneur Jehan de Haynnau, quant tout le monde ly failly. Et croy que là demoura huit jours lez le bon conte et la contesse Jehenne de Valois. Et entrues fist apparillier son navire et ses besongnes. Et messire Jehan de Haynnau fit escripre lettres moult affectueuses aux bons chevaliers et escuiers en qui plus se fioit, tant en Haynnau, en Brabant, en Hasebaing et en pluiseurs au-