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RÉDACTION PRIMITIVE

la contesse ausquels ils firent leur message. Le gentil et noble conte leur respondy moult courtoisement et par bon conseil, en remerchiant le roy et la roynne, et aux nobles seigneurs du conseil, de l’onneur qu’ils lui faisoient, et de ce qu’ils avoient envoie si souffisans gens devers luy ; et que moult volentiers s’accordoit à leur requeste, se l’Église et le Père Saint s’i acordoit. Celle response leur souffist grandement ; et sur ce tantost envoièrent deux chevaliers et deux clercs en droit par devers le saint père en Avignon, pour avoir dispensaçion ; car ils estoient si prochains de lingnage que sans ce ne se pooit faire, car leurs deux mères estoient gousines germaines issues de deux frères. Assez tôt qu’ils furent en Avignon, ils eurent fait toutes leurs besoingnes. Et accorda le saint père et le colliége ceste chose bénignement, pour le haulte noblesse dont il estoient issus tous deux.

CHAPITRE XLVII.

Quant ces messages furent revenus d’Avignon à Valenchiennes à toutes leurs bulles, ce mariage fu du tout accordé d’une part et d’aultre : si fist-on la demoiselle pourvéir et apparillier de tout ce qu’il lui appartenoit honnourablement, quant elle fust espousée par procuration souffisans apportée du roy d’Engleterre, et puis mise à le voie pour envoier devers son mary qui l’atendoit à Londres, là où il le devoit couronner. Et jusques à Londres le convoia son oncle, messire Jehan de Haynnau, qui grandement fu rechus et honnourés du roy, de la roynne et des seigneurs du pays. Adont eut à Londres moult grant feste et grant noblesse de seigneurs et de dammes, et y eut moult nobles joustes et behours, belles danses et nobles mengiers chascun jour donnés ; et durèrent ces grandes festes trois sepmaines. Et depuis ce fu messire Jehan de Haynnau dalez le roy grant pièce, ains qu’il peuist avoir congiet du roy ne de sa niepce, le josne roynne. Depuis s’en party à bon gré, et s’en retourna en Haynnau, et laissa dalez la roynne sa niepce ung josne escuier de Haynnau pour ly servir, que on appeloit Watelet de Maugny, qui puis fust messire Wautier de Maugny, bon chevalier, preux et hardis qui moult fu amés en le court et où pays, ainsi que vous orez chi après parler de luy. Mais nous nous tairons ung peu des Englès ; si retournerons aux Escos qui retournèrent en leur pays.

CHAPITRE XLVIII.

Quand les Escos furent ainsi party de le montaigne comme oy l’avez, adont s’en rala chascun d’eulx en son lieu. Assez tost après cele revenue, aucun bon seigneur et preudome d’Engleterre et d’Escoce, l’un par l’autre pour, acèrent devers l’un roy et l’autre, que une trieuwes furent fais des deux roix à durer trois ans. Dedens ces trieuwes durans, avint que le roy Robert d’Escoce qui moult preux avoit esté, fu si constrains de grosses maladies avec vieillece, qu’il vit que morir le convenoit. Et adont manda tous les barons de son royalme par devant luy, et leur dist que morir lui convenoit. Si leur pria moult affectueusement et leur charga sur leur féalté qu’il gardaissent loyalment son royalme en l’ayde de David son fil, et quant il aroit son eage, qu’il obéissent à lui et le conronassent à roy, et le mariassent en lieu si souffisant que à luy appartenoit. Après ce il appela le gentil chevalier messire Guillaume de Douglas et lui dist : « Messire Guillaume, chier amy, vous sçavez que j’ay eu moult à faire et à souffrir pour garder les drois de cestui royalme ; et quant j’eus le plus à faire, je fis un veu que je n’ay point acomply, dont il me poise ; ce fu que, se je povoie achever ma guerre, par quoy je pevisse cest royalme gouverner à paix, que je yroie aidier à guerroier les anemis Nostre Seigneur et conforter à nostre sainte foy, car à ce point a toujours mon cuer contendu ; mais Nostre Seigneur ne l’a point volu consentir ; dont il soit loés ; ains m’a envoié si grief maladie que morir me convient, si comme vous véez. Et puisqu’ensy est que mon povre corps n’y peut aler, ne achever ce que le cuer a tant désiré, je y voel envoier mon coer en lieu du corps, pour son désir acomplir et mon veu achever. Et pour ce que je ne sçay en tout mon royalme nul chevalier si preu ne si souffissant comme vous estes, je vous prie, très chier et espécial amy que cel voyage voeilliés entreprendre pour l’amour de moy, et de mon âme acquiter envers Nostre Seigneur ; car je tiens tant de vostre loyalté que, se vous l’entreprenez vous l’acheverez ; et se vous l’entreprenez j’en moray plus aise, par tel couvent que je veul que, si tost que je seray trespas-