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D’UNE PARTIE DU PREMIER LIVRE.

seurs terres en Gascongne et en Normandie ; et vous dy qu’il avoit pluiseurs ymaginacions sur ceste emprinse, quoyque messire Robert d’Artois lui conseilloit à hastivement renvoier son hommage, et avec ce le desffiast ; car il voloit ceste chose faire par grant délibéracion de conseil, ainchois qu’il entreprist chose leur il presist blasme ne damage.

CHAPITRE XCVI.

Or avint que le pappe Bénédic et le colliége qui se tenoit en Avingnon, par le promocion d’aucunes bonnes gens, seigneurs et dammes, dont j’ai oy nommer le roy de Behaigne, le duc de Loraine, le conte de Bar, le conte de Namur, madame Jehanne de Valois contesse de Haynnau, madame la contesse de Soisons famme monseigneur Jehan de Haynnau, et madame famme au conte de Penebruich d’Engleterre seur au conte de Bar, qui tous doubtoient le grant domaige et meschief qui en pooit advenir, si envoièrent deux cardinaulx à Paris pour traitier devers le roi Phelippe qu’il se volsist accorder à ce que parlement se fesist en aucun lieu, des deux rois ; et oyssent les François les demandes du roy d’Engleterre ; et s’il estoit trouvé qu’il euist aucun droit, par bon advis, aucune satisfaction et appaisemens lui fust fais. Tant traitèrent les dis cardinaulx devers le roy de France, avec les moyens, qu’il s’asenty à ce que parlement se fesist. Et s’y acorda le roy d’Engleterre ; et devoit envoyer à Valenciennes gens souffissans, pour lui oyr et respondre aux raisons des François ; et aussy y devoit envoier le roy de France personnes souffissans pour respondre aux oppinions des Englès ; et devoient ceulx estre puissant d’acorder du tout les deux roys, par l’advis et conseil du conte de Haynnau sur qui toute ceste chose fu tournée.

CHAPITRE XCVII.

Dont envoia le roy d’Engleterre deçà la mer dix chevaliers banerès de son pays, et dix autres : l’évesque de Nicolle, l’évesque de Durem et d’aultres gentils hommes. Si vinrent en moult grant estat à Valenchiennes, et se présentèrent devers le conte qui les rechupt à joie. Ceulx faisoient grans frais et grans despens et tenoient grant estat. Ce temps durant fist le conte Willame son fil chevalier. Si y eut moult grant feste. Tantost après le maria à madamme Jehanne, ais-née fille du duc de Brabant. Ainsy furent là plusieurs jours ces seigneurs d’Engleterre, atendant les seigneurs et conseil de France que le roy y devoit envoier ; mais point ne venoient, dont ils estoient moult esmervilliés. Si en parloient et murmuroient grandement, tant qu’ils vinrent devant le conte, en luy priant qu’il volsist envoier en France devers le roy pour savoir à quoy il tenoit, ne qu’il voloit faire. Adont prist le conte madame sa femme et monseigneur Jehan son frère pour y aler, lesquels y alèrent volontiers.

CHAPITRE XCVIII.

Lors se partirent de Valenchiennes dame Jehanne de Valois et messire Jehan de Beaumont son frère, et entrèrent en Paris en bon aroy, leur il trouvèrent le roy qui les rechupt à grant joie, et moult festia madame sa seur et monseigneur Jehan de Beaumont. Après ce, contèrent au roy tout leur message, et par espécial pour son honneur garder et les Englois apaisier, aux quels sambloit que on fesist villenie, et en disant : « Pour ce cas sumes nous cy venus. » Et quant ils eurent toute leur intencion ditte, le roy respondy en disant : « Ma belle seur, et vous, sire de Beaumont, vray est que par aucuns moyens, en espécial des personnes d’église, je m’acorday en ce que d’envoier à Valenciennes. Or me sont aultres nouvelles et consaulx venus de mes plus espécials amis sur ces besongnes ; de quoy, tout considéré, j’ai trouvé que de là envoier je n’y sui riens tenus ; et se je le faisoie ce seroit grandement à mon blasme et au préjudice de mon royalme, car le roi d’Engleterre n’a nul droit en mon pays ; j’en suy en la possession, et y suy mis par l’assens de tous les pers de France. Si tenray ce droit pour moy, et deffenderay, s’il m’estoit calengiés, contre tout homme. Et ces raisons j’ay envoiés devant nostre Saint Père et collége, qui bien s’i assentent ; et ne treuvent par nul clers de droit que je doie autre chose faire. » À ces parolles respondy madame sa seur, qui les périls doubtoit entre son frère le roy et son fils le roy Édouwart, et dist : « Monseigneur, je ne tieng point que le roy d’Engleterre tende ne tire plainement à le couronne de France ; mais