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LIVRE IV.

roi d’Angleterre s’en excusa, car tenu étoit de ce faire et du pourvoir, les trois chevaliers dessus nommés, dont notre histoire fait mention, qui avoient empris armes à faire en la marche de Calais près de Saint-Inghelberth, c’est à savoir Boucicaut le jeune, Regnault de Roye et le sire de Saint-Py, s’ordonnoient grandement pour accomplir leur désir et payer leur promesse et le droit des armes. Car signifié ils l’avoient notoirement et publié, et par espécial en le royaume d’Angleterre dont là étoit très grand’nouvelle, et en étoient au dit royaume chevaliers et écuyers réveillés très grandement. Et avoient les plus jeunes chevaliers et écuyers aventureux, et qui armes faire désiroient, imaginations eues sur ce, pour savoir quelle chose ils en feroient. Les aucuns entre eux disoient que grand’blâme leur seroit, et grand reproche leur tourneroit, au cas que la place prise si près de Calais étoit, si ils ne passoient la mer et alloient voir les chevaliers et faire les armes. Et vous nommerai aucuns de ceux qui le plus de parlement en tenoient. Premièrement messire Jean de Hollande comte de Hostidonne[1] en avoit grand désir. Aussi avoit messire Jean de Courtenay, messire Jean Traiton[2], messire Jean Goulouffre[3] et messire Jean Roussel[4], messire Thomas Shorbone[5], messire Guillaume Cliveton[6], messire Nicolle Cliveton, messire Guillaume Taillebourg[7], messire Godefroy de Seton, messire Guillaume Hasquenay, messire Jean Bolton, messire Jean d’Arondel, messire Jean d’Aubrecicourt, messire Henry de Beaumont et plusieurs autres, plus de cent chevaliers et écuyers ; et disoient : « Pourvéons-nous d’aller par delà à Calais, car ces chevaliers de France n’ont mis ni ordonné ce jeu en notre parti fors que pour nous avoir et voir. Certainement ils ont bien fait et sont bons compagnons. Si ne leur fauldrons pas au besoin. »

Cette chose fut si élevée et publiée en Angleterre, que proprement cils qui nul désir ni volonté n’avoient de faire armes certifioient qu’ils seroient pour voir ceux qui armes feroient sur la place, au jour et terme qui mis y étoit. Or s’ordonnèrent chevaliers et écuyers, tous l’un pour l’autre et pour la plaisance des armes, à venir à Calais ; et les grands seigneurs qui tenir leur état y vouloient, y envoyèrent devant faire leurs pourvéances, et firent passer leurs harnois de paix et de guerre et leurs chevaux, et puis passèrent les seigneurs quand ils sentirent que les jours approchoient que les joutes se devoient faire. Messire Jean de Hollande passa tout premièrement la mer, qui étoit frère du roi d’Angleterre, et plus de soixante chevaliers et écuyers avecques lui, et arrivèrent à Calais et là se logèrent.

À l’entrée du joli mois de mai furent tout pourvus les trois jeunes chevaliers de France dessus nommés, qui à Saint-Inghelberth les armes faire devoient. Car, à ce faire, en France, en Angleterre et en Écosse signifié ils l’avoient. Et vinrent premièrement à Boulogne sur mer, et là furent ne sais quans jours ; et puis se départirent et vinrent en l’abbaye de Saint-Inghelberth. Eux là venus, ils entendirent que grand’foison de chevaliers et d’écuyers étoient issus hors d’Angleterre et venus à Calais. De ce furent-ils tout réjouis ; et pour approcher la besogne et que les nouvelles vinssent entre les Anglois, ils envoyèrent ordonnément sur la place entre Calais et Saint-Inghelberth tendre trois vermaulx pavillons moult beaux et riches, et à l’entrée de chacun pavillon et par devant, avoit deux targes qui là pendoient armoyées des armes aux seigneurs ; une targe de paix et l’autre targe de guerre. Et étoit ordonné que cil qui courir et faire armes voudroit à l’un d’eux, devoit toucher ou envoyer faire toucher l’une des targes, ou toutes si il lui plaisoit ; et il seroit recueilli et délivré de joute selon que il demanderoit. Et pour approcher la besogne et parler des armes, je vous dirai comme il en avint.

Le vingt et unième jour du mois de mai, si comme certifié et prononcé étoit, furent les trois chevaliers dessus nommés pour faire les armes, et les chevaux tout prêts, ordonnés et ensellés, ainsi que la joute le requéroit. Et issirent ce jour hors de la ville de Calais tous chevaliers et écuyers qui faire armes ce jour vouloient, ou qui désir et plaisance des armes voir faire avoient ; et chevauchèrent tant que sur la place ils vinrent, et se trairent tous d’un lez. La

  1. Huntingdon.
  2. Drayton.
  3. Walworth.
  4. Russell.
  5. Sherburn.
  6. Clifton.
  7. Talbot.