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LIVRE IV.

toutes pièces, ainsi que à lui appartenoit, et monta sur son coursier qui lui étoit tout prêt, et prit sa targe au col. On lui laça ; il empoigna sa lance et mit en l’arrêt. Les deux chevaliers éperonnèrent et vinrent l’un sur l’autre de grand randon ; et se férirent ens ès heaumes tant que les étincelles de feu en saillirent : point ne rompirent les lances ni oncques les chevaliers les étriers n’en guerpirent, mais passèrent outre ; et puis s’arrêtèrent chacun sur son pas et se ordonnèrent de grand’volonté pour courir la seconde lance ; et éperonnèrent les chevaux et vinrent l’un contre l’autre sans eux épargner. Messire Boucicaut rompit sa lance et fut de ce coup desheaumé, mais point ne chey. Les deux chevaliers passèrent outre et s’arrêtèrent sur leur pas : messire Louis de Cliffort s’appareilloit encore pour jouter à Boucicaut, mais Boucicaut ne mettoit point son heaume. Donc s’avisa le sire de Cliffort que il parferoit ses armes à un autre. Si envoya heurter par un sien écuyer sur l’écu de guerre au seigneur de Saint-Py, lequel issit tantôt hors de son pavillon et monta sur son cheval qui lui étoit tout prêt ; et prit sa targe et sa lance, et s’ordonna pour jouter ; et s’en vinrent l’un contre l’autre de grand randon et se consuivirent de plein coup. Le sire de Cliffort rompit sa lance en trois tronçons sur la targe du seigneur de Saint-Py. Le sire de Saint-Py le férit sur le heaume et le désheauma et puis passa outre : chacun des chevaliers se traist sur son lez. Le sire de Cliffort retourna entre ses gens et n’en fit plus pour ce jour, car on lui dit que vaillamment et honorablement il s’étoit porté.

Après, se trait avant un gentil chevalier de grand’volonté, qui s’appeloit Henry sire de Beaumont en Angleterre. Et envoya heurter sur la targe de messire Boucicaut. Le chevalier fut tantôt prêt de répondre, car jà étoit-il à cheval d’avantage, car il avoit eu devant joute au seigneur de Cliffort ; et prit sa targe et sa lance et se mit en ordonnance pour bien jouter. Les deux chevaliers éperonnèrent les chevaux de grand randon et s’en vinrent l’un sur l’autre. Le sire de Beaumont n’employa pas bien sa lance et consuivit Boucicaut en vidant, et Boucicaut le férit de pleine lance en-mi sa targe et le porta jus par terre, et puis passa outre. Le chevalier se releva et fut aidé de ses gens et remis à cheval. Adonc se traist le sire de Saint-Py avant et s’ordonna pour jouter au chevalier ; si joutèrent deux lances bien courtoisement sans eux endommager.

Messire Pierre de Courtenay, qui grand désir avoit de jouter et de faire six lances, envoya heurter par un sien écuyer d’une verge, ainsi que ordonnancé portoit, à tous les trois écus de guerre, de laquelle chose on fut émerveillé ; et lui fut demandé comment il l’entendoit. Il répondit que sa plaisance étoit telle que il vouloit courir à chacun des chevaliers de France deux lances, si il ne lui meschéoit sur le chemin, et leur prioit qu’ils lui voulsissent accorder : ainsi ils lui accordèrent. Adonc s’avança messire Regnault de Roye tout premier et prit sa targe et sa lance, et se mit en bonne ordonnance pour jouter ; et éperonnèrent les chevaux de grand’volonté ; et s’avisèrent justement pour consuivir l’un l’autre sans eux épargner ; mais celle première lance ils faillirent, car les chevaux refusèrent : de quoi ils furent moult courroucés. Si retournèrent sur leurs lez et depuis éperonnèrent et portèrent les lances franchement et ne faillirent pas cette seconde joute, mais se consuivirent de grand randon. Messire Regnault désheauma le chevalier d’Angleterre, et passa outre ; puis retourna sur son lez et se tint tout coi, car il avoit fait ses deux lances. Messire Pierre de Courtenay fut renheaumé et remis en bon état. Donc se trait avant le sire de Saint-Py pour jouter, et coururent de plein élai l’un contre l’autre, et rompirent parmi leurs heaumes leurs lances, combien fortes ni roides qu’elles fussent ; et passèrent outre. On leur rendit lances. Si éperonnèrent leurs chevaux et vinrent l’un sur l’autre de grand randon. Le sire de Saint-Py consuivit messire Pierre de Courtenay en vidant, car son cheval se desroya un petit. Messire Pierre le férit ens ou heaume et le désheauma, et puis passa bien et franchement outre et revint tout le pas sur son lez. Adonc se traist avant messire Pierre de Courtenay, et prit sa lance, et éperonna le cheval, et messire Pierre contre lui. Si s’en consuivirent en-mi les targes de plein coup, si dur et si roide que les chevaux s’arrêtèrent tout cois sur la place, ni nul autre dommage ils ne firent. De la seconde lance ils désheaumèrent l’un l’autre. Ces six lances faites, messire Pierre de Courtenay requit encore par