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BIOGRAPHIE

Et li dis : « Je suis ores ci
« En Avignon, en dure masse. »
— « Pour quoi, monseignour, sauf vo grasce ?
« Dist le florin, vous estes bien
« Pour avoir pourfit et grant bien.
« Ne tendés vous à benefisces ?
— « Compains, di-je, se tu desisses
« Aultre chose, par saint Hylaire !
« Je te donroïe bon salaire,
« Ne jamais ne t’aleveroie,
« Mès grant honnour te porteroie. »
— « Et que volés-vous que je die ?
« Descouvrés moi vo maladie,
« Si en serai un peu plus aise ;
« Car pas n’est drois que je me taise.
« Puisque compte volez avoir
« Dou beau meuble et dou bel avoir
« Que vous avés jadis éu,
« Je sçai bien qu’il sont devenu.
« Tout premiers vous avés fait livres
« Qui ont cousté bien sept cens livres
« L’argent avés vous mis là bien ;
« Je le prise sus toute rien,
« Car fait en avés mainte hystore
« Dont il sera encor memore
« De vous ens ou temps a venir,
« Et ferés les gens souvenir
« De vos sens et de vos doctrines ;
« Et les tavreniers de Lestines
« En ont bien eu cinq cens frans.
« Regardés les deux membres grans
« De quoi je vous fac ordenance.
« Après, n’avés-vous souvenance
« Comment vous avés traveillié
« Et pluisours pays resvillié ?
« Moult bien en povés mettre en mille
« En chevauçant de ville en ville.
« N’avés-vous en Escoce esté,
« Et là demi an arresté,
« En Engleterre et en Norgalles,
« Où bien avés éu vos gales
« De là partir, aler à Rome,
« En arroi de souffisant homme
« Mené hagenée et roncin,
« Retourné un aultre chemin
« Que ne fesistes au passer
« Pour mieuls les pays compasser,
« Cherchié le royalme de France
« De chief en cor, par ordenance,
« Tele que tous jours à grans frès.
« Et avés éu tous jours près
« Or et argent, parmi raison,
« Pour bien employer vo saison.
« Tout dis avés esté montés,
« Et d’abis enhupelandés,
« Bien gouvernés et bien péus.
« J’ai tous vos afaires véus.
« Otant de choses avés faittes,
« Sans vous bouter en grosses debtes,
« Que uns aultres bons costumiers
« Autre tant, pour quatre milliers,
« N’en feroit, foi que doi saint Gille !
« Que fait en avés pour deux mille.
« Si ne devés pas le temps plaindre,
« Ne vous soussyer, ne complaindre.
« Vous avés vescu jusqu’à ci ;
« On quesne vous vi desconfi,
« Mès plain de confort et d’emprise,
« Et c’est un point que moult je prise.
« Je vous ai véu si joious,
« Si joli et si amourous,
« Que vous viviés de souhédier. »
— « Ha ! di-je, tu me voels aidier ;
« Mès c’est trop fort que jà oublie
« La belle et bonne compagnie
« De florins que l’autr’ier avoie ;
« Et si s’en sont ralé leur voie,
« Je ne sçai pas en quel pays.
« Certes, je m’en tiens pour trahis,
« Quant aultrement n’en ai penset. »
Lors dist mon florin, qu’il ne scet
Nulle riens de ceste matère.
« Mestres, par l’âme vostre père !
« Dites moi quel chose il vous fault,
« Ne a falli, et dou default
« Volentiers y adrecerai. »
Je respons : « Je te le dirai.
« Tu scés comment je me parti
« De Blois, et sus un bon parti,
« Dou conte Gui, mon droit seignour.
« Je, qui ne tenc qu’à toute honnour,
« Et qui moult desiré avoie
« D’aler en mon temps une voie
« Véoir de Fois le gentil conte
« Pour un tant que de li on compte
« Moult de largheces et de biens,
« Et vraiement il n’i fault riens
« Que largheces et courtoisies,
« Honnour sens, et toutes prisies,
« Qu’on peut recorder de noble homme
« Ne soïent en celui qu’on nomme
« Gaston, le bon conte de Fois ;
« Mon mestre, le conte de Blois
« Escrisi pour moi devers li ;
« Et le conte me recoelli
« Moult liement et doucement.
« J’ai là esté si longement
« Dalès lui, qu’il m’a pléu, voir !
« Se je desiroie à avoir
« De son estat la cognoissance,