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DE SIRE JEAN FROISSART.

de Foix dont l’un s’appelle Mont-Mirail et l’autre Mont-Clar[1].

En chevauchant entre ces villes et ces chastels, selon la rivière de Garonne, en une moult belle prairie, me dit le chevalier : « Ha ! messire Jean, je ai ci vu plusieurs fois de bonnes escarmouches, et de durs et de bons rencontres de Foissois et de Herminages[2] ; car il n’y avoit ville ni châtel qui ne fussent pourvus et garnis de gens d’armes ; et là couroient et chassoient l’un sur l’autre, et là dessous vous en véez les masures. »

(T. II, p. 381.)


Suit une autre narration historique.

En telles paroles et devises nous chevauchâmes tout le jour contremont la rivière de Garonne ; et véis, d’une et d’autre part la rivière, plusieurs beaux chastels et forteresses. Tous ceux qui étoient par delà à la main senestre étoient pour le comte de Foix, et cils de par de çà devers nous étoient pour le comte d’Ermignac. Et passâmes à Mont-Pezat[3], un très beau chastel et très fort pour le comte d’Ermignac, séant haut sur une roche ; et dessous est le chemin et la ville. Au dehors de la ville, le trait d’une arbalête, à un pas que on dit à la Garde, est une tour sur le chemin entre la roche et la rivière, et dessous celle tour, sur le passage, a une porte de fer coulisse ; et pourroient six personnes garder ce passage contre tout le monde ; car ils n’y peuvent que deux chevaucher de front, pour les roches et la rivière.

Adonc dis-je au chevalier : « Sire, véez-ci un fort passage et une forte entrée de pays ! » — « C’est voir, répondit le chevalier ; et combien que l’entrée soit forte, toutefois le comte de Foix la conquit une fois ; et passèrent lui et ses gens tout par ci, et vinrent à Palamininch et à Montesquieu, et jusques à la cité de Pamiers. Si étoit le passage assez bien gardé ; mais archers d’Angleterre qu’il avoit en sa compagnie lui aidèrent grandement son fait à faire, et le grand désir aussi qu’il avoit de passer tout outre pour venir en la marche de Pamiers. Or chevauchiez de lez moi et je vous dirai quelle chose il y fit adonc. » Lors chevauchai-je de lez messire Espaing de Lyon, et il me commença à faire sa narration. »

(T. II, p. 382.)


Suit cette narration.

En ce moment nous passâmes de-lez un chastel qui s’appelle la Bretèce, et puis un autre chastel que on dit Bacelles, et tout en la comté de Comminges. En chevauchant je regardai et vis par de là la rivière un très bel chastel et grand, et bonne ville par apparence. Je demandai au chevalier comment ce châtel étoit nommé. Il me dit que on l’appeloit Montespain[4], et est à un cousin du comte de Foix qui porte les vaches en armoiries, que on dit messire Roger d’Espaigne. « C’est un grand baron et grand terrien en ce pays ci et en Toulousain ; et est pour le présent sénéchal de Carcassonne. » Lors demandois-je à messire Espaing de Lyon : « Et cil messire Roger d’Espaigne, quelle chose étoit-il à messire Charles d’Espaigne qui fut connétable de France ? » Donc me répondit le chevalier et me dit : « Ce n’est point de ces Espaignols-là ; car cil messire Louis d’Espaigne et cil messire Charles d’Espaigne de qui vous parlez vinrent du royaume d’Espaigne anciennement, et étoient d’extraction d’Espaigne et de France, de par leur mère, et furent cousins germains au roi Alphonse d’Espaigne. Et servis de ma jeunesse messire Louis d’Espaigne ès guerres de Bretagne, car il fut toujours pour la partie à Saint Charles de Blois contre le comte de Monfort. »

Atant laissâmes nous à parler de celle matière et vînmes ce jour[5] à Saint-Goussens[6] une bonne ville du comté de Foix.

À lendemain[7] vînmes-nous dîner, à Mont-Roial de Rivière, une bonne ville et forte ; laquelle est du roi de France et de messire Roger d’Espaigne. Après dîner nous montâmes à cheval et partîmes ; et prîmes le chemin de Lourdes[8] et de Mauvoisins[9] ; et chevauchâmes parmi unes landes qui durent, en allant devers Toulouse, bien quinze lieues ; et appelle-t-on ces landes Landes-Bourg ; et y a moult de périlleux passages pour gens qui seroient avisés.

  1. Moncla, dans la Haute-Garonne.
  2. Gens du parti de Foix et du parti d’Armagnac.
  3. Dans la Haute-Garonne.
  4. Montespan, dans la Haute-Garonne.
  5. Le 22 novembre.
  6. Saint-Gaudens, chef-lieu d’arrondissement de la Haute-Garonne.
  7. Le 23 novembre.
  8. Dans les Hautes-Pyrénées, entre Baguères et Saint-Pé.
  9. Mauvesin, près Tournay.