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LIVRE IV.

répondit, car jà étoit-il tout prêt d’avantage, et prit son glaive et le mit en arrêt. Ils éperonnèrent les chevaux et abaissèrent les glaives, et vinrent l’un sur l’autre et se consuivirent ce premier coup sur les heaumes, mais les fers vidèrent. Ils passèrent outre franchement, et puis retourna chacun sur son lez ; encore tenoient-ils les glaives ès arrêts. Si éperonnèrent les chevaux, et vinrent l’un sur l’autre de grand’volonté ; et se férirent de plein coup sur les targes, et se consuivirent si durement que les chevaux estançonnèrent. Les jouteurs vidèrent et passèrent outre, mais ils perdirent les glaives, et quand ils furent venus sur leur lez on leur rendit ; ils les prirent et mirent en arrêt et puis éperonnèrent de grand randon. Si se férirent de cette joute tout acertes sur les heaumes. De ce coup fut Nicolas Stone désheaumé ; donc retourna vers ses gens et ne jouta plus pour ce jour, car lui fut dit qu’il en avoit assez fait.

Adonc se trait avant et pour jouter un autre écuyer d’Angleterre, qui s’appeloit Jean Maréchal ; et étoit armé de toutes pièces bien et fort, fit envoya heurter à la targe de guerre messire Boucicaut. Le chevalier répondit, car il étoit tout prêt et n’attendoit autre chose que la joute. Si prit son glaive et le mit en arrêt. Les deux éperonnèrent les chevaux et coururent par grand randon, et abaissèrent les glaives et s’encontrèrent, et se férirent de plein coup sur les larges sans eux épargner ; point ne se portèrent de dommage ; les glaives leur chéirent. Ils passèrent outre et firent leur tour, et quand ils furent revenus chacun sur son lez, on leur rendit les glaives ; ils les prirent et mirent en arrêt, et se joignirent en leurs targes ; et éperonnèrent les chevaux et vinrent l’un sur l’autre, et se consuivirent sur les heaumes, et se donnèrent grands horions ; et passèrent outre et portèrent leurs glaives toutes droites ; et quand ils eurent fait leur tour et ils furent venus sur leur lez, ils s’arrêtèrent un petit et s’avisèrent comme ils se pourroient atteindre de plein coup ; et éperonnèrent les chevaux et se joignirent en leurs écus, et vinrent l’un sur l’autre. Jean Maréchal férit Boucicaut sur la targe, et lui donna si grand horion que il rompit sa lance en trois tronçons, et Boucicaut le férit à mont sur le heaume, par telle manière qu’il le désheauma et le fit ployer tout bas sur la croupe de son cheval. L’écuyer passa outre sans cheoir. Et quand il eut fait son tour, il retourna devers ses gens et ne jouta plus pour ce jour, car on lui dit qu’il en avoit assez fait et que bien devoit suffire.

Après se trait avant sur les rangs un gentil chevalier d’Angleterre, jeune, frisque et grandement désirant conquerre honneur. Le chevalier on appeloit messire Jean Cliveton, et s’armoit d’argent frété d’azur et à un chef d’azur à une molette d’argent au chef. Et étoit le chevalier appareillé de tous points ainsi que les armes le demandoient. Et envoya heurter d’une verge par un sien écuyer à la targe de guerre de messire Regnault de Roye. Le chevalier répondit, car jà étoit tout prêt d’avantage, et fut moult réjoui de la venue du chevalier. Chacun se trait sur son lez. On leur bailla glaives ; ils les prirent et les arrêtèrent, puis éperonnèrent leurs chevaux de grand randon. Ce premier coup ils se consuivirent sur les heaumes en vidant ; ils passèrent outre et firent leur tour, et puis revinrent sur leur lez. Encore tenoient-ils leurs glaives en leur arrêt. Guères ne séjournèrent, quand ils éperonnèrent leurs chevaux et vinrent l’un sur l’autre ; et se consuivirent sur les targes, et se donnèrent grands horions, mais point ne se dommagèrent. Ils passèrent outre. Les glaives leur chéirent. Cils étoient tout prêts qui les relevèrent. Les deux chevaliers retournèrent sur leur lez moult franchement. On leur bailla les glaives, ils éperonnèrent les chevaux et vinrent l’un sur l’autre. De ce tiers coup ils se consuivirent à mont sur les heaumes, si dur que les étincelles de feu en saillirent ; ils passèrent outre.

De la quatrième lance les chevaux croisèrent, dont ils furent moult courroucés. La cinquième lance fut bien assise, car chacun brisa sa lance. Les deux chevaliers étoient échauffés l’un sus l’autre et montroient bien qu’ils avoient grand désir de jouter et d’eux éprouver. Quand ils furent venus sur leur lez, on bailla à chacun un glaive bon et roide. Guères ne séjournèrent, quand ils éperonnèrent leurs chevaux de grand randon et s’en vinrent l’un sur l’autre. De la sixième lance ils se férirent sur les heaumes, tellement que tous deux se désheaumèrent. Celle joute fut moult prisée de tous ceux qui la virent, et ils passèrent outre et firent leur tour ; et puis retourna chacun entre ses gens. Le chevalier