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LIVRE IV.

glaives, et firent leur tour moult franchement et puis retourna chacun sur son lieu. Écuyers vinrent qui prestement leur rendirent les glaives ; ils les prirent et mirent en l’arrêt et regardèrent l’un sur l’autre, et éperonnèrent les chevaux de grand randon. Ils se consuivirent ès lumières des heaumes tellement que tous deux moult dur se désheaumèrent. Ils passèrent outre en faisant leur tour bien et franchement et s’en vinrent sur leur lieu ; et regardèrent entre eux les Anglois que le vèpre approchoit. Si se remirent tous ensemble et se départirent de la place, et chevauchèrent en une compagnie à Calais, et se trait chacun en son hôtel. La nuit et le soir ils parlèrent et devisèrent entre eux moult des armes qu’ils avoient faites aux François, et les François à eux. Et aussi les François qui retournés étoient à Saint-Inghelberth ne s’en taisoient pas.

Quand ce vint le jeudi au matin, le quatrième jour de la semaine, les Anglois qui étoient à Calais regardèrent entre eux que encore y avoit-il de leurs compagnons, chevaliers et écuyers, qui avoient à jouter et à faire armes ; en cette instance ils étoient passés la mer. Si dirent qu’il convenoit que chacun qui désir et volonté avoit de faire armes fût contenté ; autrement ce ne seroit point compagnie. Tous les seigneurs furent d’accord que ce jeudi ils retourneroient à Saint-Inghelberth et lairroient payer les armes ceux des leurs qui payer les voudroient. Si que, après messe et boire, tous montèrent sur les chevaux et se départirent de Calais en une compagnie, et chevauchèrent tant qu’ils vinrent en la place où les armes et les joutes se faisoient. Jà étoient venus les trois chevaliers de France, attendant et tout prêts dedans leurs pavillons, et cils de leur coté qui servir les devoient ou qui voir jouter les vouloient, et qui les accompagnoient.

Or se mit premièrement sur la place pour jouter un chevalier d’Angleterre, qui se nommoit messire Godefroy d’Eustas ; et s’armoit d’or à un lion noir à lambeaux de gueules et à une molette d’or sur l’épaule du lion. Il étoit armé de toutes pièces bien et frisquement, ainsi comme à lui appartenoit ; et envoya heurter par un sien écuyer sur la targe de guerre de messire Boucicaut, lequel issit tantôt de son pavillon armé et apprêté pour répondre a la requête et pour fournir armes à son pouvoir. Son cheval fut tout prêt et monta sus. On lui boucla sa targe ; on lui bailla son glaive. Il le prit et mit en arrêt. Le chevalier anglois étoit jà tout pourvu de la sienne. Ils regardèrent l’un l’autre et puis éperonnèrent les chevaux de grand randon. De ce premier coup ils se consuivirent sur les heaumes et se donnèrent grands horions. Les glaives vidèrent ; ils passèrent outre et firent leur tour et puis retournèrent chacun sur son lieu. Encore tenoient-ils leurs glaives et les emportoient. Si éperonnèrent les chevaux. En eux approchant ils abaissèrent les glaives et vinrent l’un sur l’autre, et se férirent de ce coup ès larges si grand horion que les glaives rompirent, autrement ils se fussent moult dommagés. Ils passèrent outre, et retourna chacun sur son lieu. Cils furent prêts qui les rafreschirent de nouvelles lances. Quand ils les tinrent, ils les mirent en arrêt et se joignirent en leurs targes, et éperonnèrent les chevaux, et vinrent l’un sur l’autre moult roidement, et se consuivirent sur les heaumes parmi leurs lumières. Le coup fut bel et dur, car tous deux se désheaumèrent. Ils passèrent outre et retourna chacun vers ses gens. Le chevalier anglois n’en fit plus pour ce jour, car lui fut dit que vaillamment il s’étoit porté et que il convenoit jouter les autres.

Après se trait avant pour jouter un écuyer anglois qui s’appeloit Alain Bourch, appert homme en armes ; et envoya heurter sur la targe de guerre du seigneur de Saint-Py. Le chevalier issit hors de son pavillon, armé et pourvu pour répondre à la requête. Il monta sur le cheval qui lui fut tout prêt. On lui boucla sa targe ; on lui bailla son glaive, il le mit en arrêt ; ils éperonnèrent ; en approchant ils abaissèrent les glaives et se donnèrent sur les heaumes grands horions, tant que les étincelles de feu en saillirent ; ils passèrent outre et firent leur tour et puis revinrent chacun sur son lieu. Guères n’y séjournèrent quand ils éperonnèrent les chevaux de grand’volonté, et se joignirent, en leurs targes, et abaissèrent leurs glaives, et s’en vinrent l’un sur l’autre, et se férirent et consuivirent au milieu des targes, et se donnèrent grands horions tant que les glaives tronçonnèrent ; ils passèrent outre frichement et firent leur tour, et puis revinrent sur leur lez : ils s’avisèrent l’un l’autre et puis éperonnèrent les chevaux, et abaissèrent les