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LIVRE IV.

manda moult de fois à la comtesse Dauphine, en la remerciant des tentes que envoyées lui avoit, car bien lui venoient à point. Le sire de la Tour étoit en son pays et à une lieue de son châtel et de sa maison ; si avoit aussi ce qui lui convenoit. Tous chevaliers et écuyers s’ordonnoient au mieux qu’ils savoient ou pouvoient, et avoient vivres et pourvéances à foison, qui leur venoient de toutes parts et à bon marché. Le temps étoit bel et sec, et l’air coi et chaud, tel comme il est au mois d’août. Si se tenoient volontiers les chevaliers et compagnons dessous les feuilles et les ramées, quand elles étoient vertes et nouvellement coupées. Or vinrent nouvelles en l’ost, qui mirent en doute les seigneurs et les compagnons, que les garnisons voisines des ennemis, comme de Caluset et d’Ousac, se cueilleroient ensemble et viendroient un soir ou une matinée réveiller l’ost, quand on ne se donneroit garde, et leveroient le siége. Le vicomte de Meaux et les chevaliers en eurent conseil ensemble ; et ordonnèrent que ce seroit bon que ils envoyassent un héraut à Perrot le Bernois, capitaine de Caluset, et à Olim Barbe, capitaine d’Ousac, pour savoir leur entente, à celle fin que ils n’en fussent surpris et que des garnisons anglesches ils fussent assurés ou en guerre, et selon ce que on leur feroit de réponse ils se pourvoieroient. Si envoyèrent un héraut de leur côté, et l’instruisirent et chargèrent de ce qu’il devoit dire. Le héraut se partit de l’ost et chevaucha vers le fort de Caluset, et exploita tant qu’il y vint ; et trouva d’aventure à la barrière Perrot le Bernois et grand’foison de ses compagnons qui s’ébattoient à jeter la pierre. Il descendit jus de son cheval et demanda le capitaine ; on lui enseigna. Quand il fut devant lui, il parla et fit son message bien et à point de tout ce dont instruit on l’avoit. Perrot le Bernois répondit à ce et dit : « Héraut, vous direz à vos maîtres qui ci vous envoient, que nous voulons aussi entièrement et loyaument tenir la trève, qui donnée est et scellée entre France et Angleterre, comme nous voulons que on le nous tienne, et si nous savions aucun des nôtres qui l’enfrainsist ni violât par aucune incidence, si nous le pouvions tenir, nous en prendrions telle correction comme il en appartient à prendre et que promis l’avons ; et veux bien que vous dites à vos maîtres que ce que Aimerigot Marcel a fait, c’est hors de notre conseil et ordonnance, ni oncques n’en parla à nous. Et lui avons bien défendu et aux siens le retour en notre seigneurie ; et si nous le tenions il auroit mal finé. » Le héraut fut mené dedans le fort et dîna. Après dîner il prit congé. Perrot le Bernois lui fit délivrer, pour l’honneur des seigneurs de France, dix francs ; il les prit et l’en remercia, et puis se départit et demanda le chemin à Ousac, et trouva le capitaine du lieu qui s’appeloit Olim Barbe et étoit Gascon. Le héraut parla à lui sur la forme et manière que parlé avoit à Perrot le Bernois. Olim Barbe répondit tout pareillement, et dit que pour rien il n’enfraindroit la trève, car il ne vouloit pas être déshonoré. Le héraut dîna au châtel d’Ousac, et au prendre congé on lui donna dix francs ; et puis se départit et retourna vers ses maîtres à la Roche de Vendais. Quand il fut venu et descendu, les chevaliers étoient moult en grand désir d’ouïr nouvelles. Si s’assemblèrent à l’entour du vicomte, et là généralement il dit et remontra bien et sagement comment il avoit été à Chaluset et à Ousac, et quels il avoit trouvés les capitaines, et les réponses sur les paroles que dit avoit le héraut, dont répondu avoit été. Le vicomte de Meaux et les chevaliers tinrent plus grand compte que devant ne faisoient de Perrot le Bernois et de Olim Barbe, et furent hors de toutes doutes de ce côté et continuèrent le siége devant la Roche.

Le siége étant devant la Roche de Vendais, vous devez savoir que tous les jours il y avoit escarmouche de ceux de dehors à ceux de dedans, et souvent en y avoit de blessés du trait, car Gennevois sont bons arbalétriers, subtils et de juste visée. Ainsi se continua et tint le siége neuf semaines. L’entreprise de la garnison étoit grandement à l’avantage de ceux de dedans ; et je vous en conterai la manière et l’ordonnance. Sur aucuns côtés ils pouvoient bien issir quand ils vouloient malgré leurs ennemis, car pour tout assiéger environnement et eux tollir leurs issues, il y convînt plus de six mille hommes. Or advint que le siége étant devant la Roche de Vendais, Aimerigot, qui fut et étoit pour lors moult imaginatif, regarda à son fait et considéra toutes choses, et véoit que point il n’avoit bien fait ; mais pour tourner son fait en droit, et afin que cette Roche de Vendais lui demeu-