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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

d’Angleterre en sa compagnie, pourvus de lettres du roi d’Angleterre et du duc de Lancastre, adressans au vicomte de Meaux et au duc de Berry, si il besognoit. « Et pourquoi, dit Aimerigot, ne sont-ils venus jusques-cy ? » Répondit-il : « C’est par cautelle, si comme ils me dirent ; car entre eux deux feront bien et achèveront bien le message ; et ne veulent point que nul de par vous soit vu en leur compagnie. » — « Ils sont sages et bien avisés, répondit Guyot du Sel, ils montreront que de fait le roi d’Angleterre et le duc de Lancastre les envoient par-deçà la mer et que la besogne leur touche. » Répondit le varlet : « Vous dites vérité. »

De ces nouvelles fut Aimerigot tout réjoui, et dit à son varlet : « Tu as très bien exploité et sur briefs jours, et bien te le guerdonnerai. »

Vous devez savoir que l’homme envoyé de par le duc de Lancastre, et Derby le héraut en sa compagnie, tantôt issus hors d’Angleterre, s’en vinrent devant la Roche de Vendais et droit où les François tenoient leur siége, et demandèrent le logis au vicomte de Meaux. On leur enseigna : ils y furent menés ; ils trouvèrent le vicomte qui devant sa tente s’ébattoit à voir jeter la pierre. Quand ils furent venus jusques à lui, ils s’inclinèrent et le saluèrent. Le vicomte leur rendit leur salut et puis leur demanda d’où ils venoient. Ils répondirent que ils venoient d’Angleterre, et que ils éloient là envoyés de par le roi d’Angleterre et le duc de Lancastre. « Vous soyez les biens-venus ! dit le vicomte. Quelles nouvelles vous amènent maintenant en cette terre sauvage ? » — « Monseigneur, dit le héraut, véez ci un écuyer qui est à monseigneur de Lancastre, qui vous apporte lettres du roi d’Angleterre et du duc de Lancastre. Si les lirez, s’il vous plaît ; et pour ce que je connois un petit le pays de par-deçà, je suis venu en sa compagnie. »

Adonc lui bailla l’écuyer les lettres, et le vicomte les prit, et regarda les sceaux, et connut bien que elles étoient bonnes et apportées d’Angleterre. Si prit un de ses hommes à part qui bien savoit lire. Si les lit toutes de chef en chef par deux ou trois fois, tant que le vicomte les eut bien entendues. Si pensa sur ces escrîptures et regarda comment le roi d’Angleterre lui escripsoit que il étoit et logeoit, et dormoit et reposoit sur son héritage à main armée, et se mettoit en peine tous les jours de rompre la trève, laquelle il ne pouvoit ni devoit faire, car c’étoit grandement au préjudice des scellés que scellé avoient entre lui et son adversaire de France. Et mandoit, telle étoit la conclusion de la lettre, que, ces lettres vues et lues, le vicomte et ses gens se partissent de là et levassent le siége, et laissassent à Aimerigot Marcel paisiblement possesser de son héritage, lequel lui avoit moult coûté à fortifier.

Ces paroles, et autres plusieurs colorées, avoit encore dedans ces lettres, et tout à l’aide de Aimerigot Marcel. Tout ainsi, et sur une même forme comme les lettres du roi d’Angleterre parloient, celles du duc de Lancastre chantoient. Et mandoit le duc comme duc exerçant de la duché d’Aquitaine. Adonc répondit le vicomte de Meaux, quand il se fut avisé, et dit : « Beaux seigneurs, ces nouvelles que vous m’apportez demandent bien à avoir conseil. Je m’en conseillerai, et puis vous en répondrai. » Lors se trairent arrière l’écuyer et le héraut, et tantôt trouvèrent qui les prit et qui les mena boire du vin au vicomte. En ce detri et espace se conseilla le vicomte, car il manda le seigneur de la Tour, messire Guillaume le Boutillier, messire Robert Dauphin, messire Louis d’Aubière, et aussi le seigneur de Montigny, Vermandisien, et messire Beraud de la Rivière ; mais cil là étoit de son hôtel. Quand ils furent tous venus ensemble, il leur renouvela les paroles, et ce pourquoi il les avoit mandés, et leur fit lire les lettres là envoyées. Quand les chevaliers les eurent ouïes, ils furent tous émerveillés comme jà lettres pouvoient être venues et apportées d’Angleterre, car encore n’avoient-ils pas été au siége un mois. « Je vous dirai, dit le vicomte, que je suppose. Cil Aimerigot Marcel est un subtil varlet. Sitôt qu’il vit qu’il auroit le siége, il envoya un sien varlet espoir en Angleterre pour impétrer ces lettres. Or y obéirai, si je vueil : je vous dis bien que j’en répondrai tantôt. Mais de ce que le roi d’Angleterre et le duc de Lancastre me mandent, je n’en ferai rien, car je ne suis rien tenu de obéir à eux, fors au roi de France, notre sire, qui m’a ci commis et envoyé. On fasse venir le héraut et le varlet avant, et je leur ferai réponse. » Tantôt on les alla quérir et furent amenés devant le vicomte et les chevaliers qui là étoient. Quand ils furent venus, ils inclinèrent les chevaliers, et le